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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/914

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avec quelque exagération, un fond de vrai peut-être dans ce que nous disait naguère un catholique anglais qui prétendait que la foi irlandaise est « dans la race » plus que « dans l’individu : » « Ils sont catholiques parce qu’Irlandais, et Irlandais parce que catholiques ; ils ne veulent pas que, moi Anglais, je sois catholique, — c’est leur privilège, — et ils me détestent, moi catholique, parce qu’Anglais, et peut-être plus encore parce que catholique anglais. »

S’il est vrai que la piété, comme la moralité, ait quelque peu baissé depuis un demi-siècle en Irlande, la raison n’en est pas à chercher bien loin, c’est l’introduction brutale dans un milieu resté très primitif des élémens d’une demi-instruction et d’une demi-civilisation, étrangères toutes deux à l’esprit de la race, et dont les premiers effets, sinon les seuls, sont les mauvais effets. Il est certain que dans l’état actuel des choses, les Irlandais ne sont guère mieux armés pour la lutte dans la vie spirituelle que dans la vie matérielle : dès qu’ils émigrent, la déperdition est énorme, par la brusque transition entre des conditions de vie très saines et les bas-fonds des grandes villes d’Angleterre ou d’Amérique. Notre Anglais de tout à l’heure nous dirait ici que le plus grand obstacle à la « catholicisation » de l’Angleterre, c’est l’Irlande, lisez l’impiété de vie des Irlandais de Liverpool ou de Glasgow. Aux États-Unis on estime que, dans les soixante dernières années, la moitié des Irlandais immigrés ou nés d’immigrés aurait été perdue au catholicisme et à toute espèce de religion positive. — N’empêche qu’on ne peut qu’être encore frappé dans l’Irlande d’aujourd’hui de l’intensité de la foi catholique et de ses manifestations extérieures : l’énorme foule populaire qui se presse aux Eglises dans les villes, les hommes plus nombreux encore que les femmes, semble-t-il, tout ce monde agenouillé à même les dalles, sans un geste, sans un bruit, prosterné et comme pétrifié dans la prière ; à Dublin, aux messes matinales, trois ou quatre prêtres donnant en même temps la communion aux nombreux fidèles ; dans les campagnes et surtout dans l’Ouest, la récitation habituelle du rosaire en famille, la pratique fréquente du jeûne de deux jours avant la communion, les « stations » faites à Pâques et à Noël dans chaque hameau, avec confession et communion générale, par le pasteur de la paroisse qui descend chez l’habitant et célèbre le Saint-Sacrifice dans les maisons de ferme, selon un touchant usage qui