Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/931

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

savante ou pédantesque. J’espère qu’ils ont quand même des idées sur leur art, et qu’ils ne méconnaissent ni l’utilité des discussions théoriques ni le prix de l’effort conscient et réfléchi ; mais ils se souviennent d’un temps où leurs aînés annonçaient chaque matin qu’ils auraient du génie le lendemain. Cela les a rendus plus réservés et moins prodigues de promesses. Ils tâchent de nous donner des œuvres, telles quelles, en nous laissant le soin d’épiloguer sur elles. Ce qui apparaît tout de suite dans ces œuvres, c’est la netteté du dessein qu’ont eu leurs auteurs de rompre avec l’esthétique de leurs devanciers. Vous y chercheriez vainement l’ombre d’un symbole. Est-ce un bien, est-ce un mal ? Il nous suffit de constater que les poètes ont renoncé au système de l’ « allusion, » c’est-à-dire de l’expression indirecte, et qu’ils se soucient au contraire d’exprimer chaque nuance de leur sensibilité de la façon la plus directe, et, s’il est possible, la plus adéquate. Au vague où se complaisaient les poètes musiciens, ils préfèrent une forme moins imprécise, moins indécise, et ils ne souhaitent rien tant que de saisir au passage quelque image colorée, éclatante, splendide. Je sais, dit l’un d’eux, M. Emile Despax,


Que les beaux vers, honneur du langage français,
Sont vifs comme le chant aigu de la cigale,
Chauds comme le velours des roses du Bengale,
Frais comme un caillou blanc dans la source qui luit,
Et purs comme le chœur des astres de la nuit[1]...


Cela signifie sans doute que les vers doivent être aisés à comprendre, justement cadencés et revêtus de belles images. Ils ont totalement renoncé au vers libre, du moins à celui dont la liberté n’était réglée que par le caprice du poète. Quelquefois encore il arrive que leur prosodie s’affole et qu’on rencontre quelques séries de vers qui échappent à toute mesure ; ils sont comme isolés et perdus dans un ensemble de vers fidèles à la coupe traditionnelle, qui est la coupe classique, peu à peu modifiée par les romantiques et les parnassiens. Tout juste est-on parvenu à libérer le vers de certaines contraintes inutiles, et de quelques interdictions arbitraires. C’est à quoi se réduit tout ce que la nouvelle génération des poètes doit à la précédente. D’ailleurs elle prend le contre-pied de toutes ses tendances.

Le plus grand défaut de la poésie d’antan, c’était d’être nuageuse au point de s’évanouir dans on ne sait quelle brume sans forme et sans

  1. M. Emile Despax, La maison des Glycines, 1 vol. (Lemerre).