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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/939

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anciens et de tous les temps. Il consiste à noter l’air et l’attitude des animaux et à leur prêter les sentimens qui, dans le monde des hommes, correspondent à cet air et accompagnent cette attitude. La poule que nous voyons inquiète, affairée, nous dira :


Vois-tu comme ma tête est petite ? J’épie.
Je ne sais plus pourquoi je suis ici tapie.
J’escalade le bois sec, j’écoute un moment,
Puis au haut des fagots je danse brusquement.
Je n’ai pas de cervelle et je n’ai qu’une huppe.
Tout m’inquiète et c’est tout et rien qui m’occupe ;
Je replie un instant la patte au bord du pré,
Et mon œil rond a l’air d’un guetteur effaré.
J’hésite, je reviens, je pars, lèvent me touche.
Je cours ; j’ai toujours l’air de poursuivre une mouche.


Donc elle personnifiera l’écervelée et la petite folle. La tortue va dans sa lenteur fameuse et la grive dans sa perpétuelle ivresse. Ce monde des bêtes est si pareil au monde des hommes qu’on y trouve les mêmes institutions, qu’on y respecte la même hiérarchie sociale. Le faucon est un baron de l’azur, le coq un héraut, le chat un juge, le merle un augure, et le scarabée un ermite. Les choses elles-mêmes ont part à cet universel humanisme : le soleil est un ogre, le nuage un capitan, le feu un seigneur, les tisons sont fourrés comme des maréchaux.

M. Bonnard ne se lasse pas de continuer, de prolonger, et de répéter ce jeu. Nous ne lui reprocherons, pour notre part, ni sa déconcertante fécondité, ni la monotonie de ses effets. Nous aimons mieux le féliciter d’être si vraiment jeune, de mettre dans ses vers, à défaut d’un goût très pur, tant de gaieté, de gentillesse et d’espièglerie. Il a ce don de l’image qui fait le poète :


La lampe, l’île d’or qu’enclôt la mer du rêve...
Iles, tentations charmantes des navires...
Les étoiles par qui l’été profond s’augmente
Sortent de l’onde, ainsi qu’une moisson clémente, etc.


Le difficile dans cette œuvre touffue et prolixe est de choisir et c’est, au surplus, ce à quoi M. Bonnard n’a pas réussi. Il se corrigera, avec le temps ; et ses défauts sont de ceux dont il n’est pas impossible de se débarrasser. Il apprendra à se restreindre et à se discipliner. Il appliquera à des entreprises qui en seront plus dignes les qualités d’observation malicieuse, d’imagination facile, et d’heureuse invention verbale dont il semble si vraiment doué.