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M. Bonnard connaît-il la campagne, pour y être né et y avoir passé son adolescence toute récente encore ? La justesse de sa vision le ferait croire, si l’espièglerie de sa traduction ne nous en faisait douter. Mais sûrement M. Auguste Dupouy est Breton, et son livre Partances est tout plein de souvenirs de la mer et des récifs, et des quais et des flottilles de là-bas[1]. M. Georges Druilhet est Lorrain et veut faire passer dans ses Haltes sereines[2] toute sa province avec l’aspect du pays comme avec l’humeur dg la race. D’autres encore, qui sont de précieux rimeurs, trouveraient ici leur place. Mais je ne puis qu’indiquer une tendance générale, des aspirations éparses à travers beaucoup d’œuvres charmantes. Eux tous, ces poètes, leur pente les porte à se souvenir de la terre et de la maison natale. Ils en aiment les impressions profondes et douces. Ils veulent continuer à travers les épreuves de la vie changeante et décevante le rêve qu’ils y ont commencé. Ils ignorent volontairement la fièvre, la brutalité, les haines qui rendent notre société si hostile à ceux dont l’âme est simple et le cœur est tendre. Étrangers à ce goût du changement, à cette fantasmagorie de nouveauté qui nous lance éperdus à la poursuite d’édens chimériques, ils se réfugient dans le passé, ils recherchent ce qui, depuis le lointain des temps, s’est maintenu jusqu’à nous toujours pareil. Leur idéal est un idéal de sagesse et de modestie ; et leur rêve, qu’il s’encadre dans un décor de ville ou de campagne, est un rêve d’intimité, de vie grave et recueillie. La poésie a plus d’un objet ; elle peut se prêter aux tentatives les plus différentes : elle peut dire les grandes aspirations de l’âme humaine, ou célébrer l’orage de ses passions ; elle peut refléter les changemens des époques ou exprimer l’éternité des idées. Nos poètes, non pas timides mais prudens, se sont interdit pour un temps les ambitions trop hautes ; ils trouvent qu’il est doux d’entendre et de compter chacun des battemens de son cœur, ils sont d’avis qu’un charme réside dans tout ce qui est simple et régulier, qu’il y a, dans tout ce que ramène l’habitude et que la tradition consacre, une vertu secrète, et ils s’estiment heureux de cueillir cette poésie qui fleurit à portée de la main.


RENE DOUMIC.

  1. Auguste Dupouy, Partances, 1 vol. in-18 (Lemerre).
  2. Georges Druilhet, Les Haltes sereines, 1 vol. in-18 (Lemerre).