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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/946

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profond sentiment d’honneur qui l’empêche d’admettre, une seule minute, qu’une promesse qu’elle a faite ne soit point tenue. Et déjà Peterborough se prépare tristement à quitter Modène, pour aller étudier à nouveau la princesse de Neubourg, lorsqu’un événement se produit qui change, tout à coup, la face des choses. Le pape Clément X, peut-être pour répondre aux prières des cours d’Angleterre et de France » ou peut-être, plutôt, par sollicitude paternelle pour l’avenir des catholiques anglais, écrit, de sa propre main, à la petite princesse Marie-Béatrice, une longue et belle lettre latine où il lui ordonne d’oublier son vœu, et de consentir au mariage qui lui est proposé. « Chère fille en Jésus-Christ, lui dit-il, vous pourrez aisément comprendre de quelle anxiété Nous avons eu l’âme remplie lorsque Nous avons été informé de votre répugnance pour le mariage. Car, bien que Nous comprissions que cette répugnance résultait d’un désir, très louable en soi, d’embrasser la discipline religieuse. Nous en avons été pourtant sincèrement affligé, en songeant que, dans l’occasion présente, elle risquait de former un obstacle aux progrès de la religion. »

Cette lettre, cet ordre, eut sur Marie-Béatrice un effet immédiat : la jeune fille fit savoir à Peterborough qu’elle consentait au mariage, ce dont l’excellent homme fut à la fois si étonné et si ravi qu’il résolut de procéder immédiatement à la cérémonie, sans même attendre l’achèvement de négociations qui venaient d’être entamées avec la Cour de Rome, touchant certaines clauses secrètes du contrat. Le 30 septembre 1673, dans la chapelle du palais ducal de Modène, le chapelain de la Cour, Dom Andréa Roncagli, célébra le mariage du duc d’York, représenté par le comte de Peterborough, avec la princesse Marie-Béatrice. Au sortir de la chapelle, la nouvelle duchesse d’York eut à prendre le pas sur sa mère et sur la vieille régente de Modène, veuve de son grand-père. Toute la ville se remplit de joyeuses mascarades, qui durèrent trois jours, avec un éclat et une élégance artistique incomparables. Le lendemain, après une messe solennelle à la cathédrale, et avant une course de chevaux, il y eut un fastueux banquet, autour d’une grande table que décoraient une série de triomphes, ingénieux monumens allégoriques construits en sucre, en pâte, et en massepain. Et tout le duché fut en fête, sous un doux soleil d’automne, jusqu’au 5 octobre, où la jeune duchesse, accompagnée de sa mère et de l’heureux Peterborough, quitta Modène pour aller faire connaissance avec son mari.

A Paris, où elle arriva le 2 novembre, la Cour et la Ville lui firent l’accueil le plus chaleureux : mais elle eut le chagrin (ou peut-être le