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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/945

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« Car ce n’était point chose commode, écrit-il ingénument, d’apaiser une âme désappointée à un tel degré ! »

A Modène, il y a deux princesses disponibles, la tante et la nièce, l’une âgée de trente ans, l’autre de quinze. Charles II et Louis XIV sont d’avis que Peterborough doit s’efforcer d’obtenir le consentement de l’une ou de l’autre, « mutatis mutandis ; » mais le duc d’York, bien résolu à n’épouser qu’une « belle femme, » ne veut pas entendre parler de la tante, et exige que son mandataire concentre tous ses soins et tout son talent à obtenir l’adhésion de la jeune princesse Marie Béatrice.

Celle-ci, à la voir en personne, dépasse encore toutes les promesses du portrait interrogé par Peterborough chez le prince de Conti. « elle est grande, et formée admirablement ; son teint est d’une beauté merveilleuse, ses cheveux d’un noir de jais, de même que ses sourcils et ses yeux : mais ces derniers si pleins de lumière et de douceur qu’on en est, à la fois, ébloui et charmé. Et dans tous les contours de son visage, de l’ovale le plus gracieux qui puisse être rêvé, il y a vraiment tout ce qui peut être grand et beau chez une créature humaine. » Mais en vain Peterborough, émerveillé de la figure et des manières de la jeune princesse, lui dit tout cela à elle-même, pour la convaincre de l’impossibilité de dérober au monde tant de perfection ; en vain, dans une longue entrevue, il s’efforce de combattre ses scrupules, et de la décider à rompre son vœu ; en vain il renouvelle ses tentatives auprès de la mère, à qui le mariage de sa fille ne déplairait point, mais qui est trop pieuse pour ne point se croire tenue de respecter les désirs pieux de la jeune princesse ; en vain Charles II et Louis XIV mettent en œuvre toutes les ressources de la diplomatie : Marie-Béatrice a résolu d’entrer au couvent, et rien ne peut la faire revenir sur cette décision.

Non pas, au moins, qu’elle soit une petite sotte, ignorant tout du monde, et aveuglément férue de sa dévotion ! Avec sa beauté pure et délicate, qui va survivre aux années comme à la souffrance, et durer jusqu’à nous dans d’admirables portraits, elle est gaie, vive, spirituelle, passionnément amoureuse de musique et de poésie ; instruite aussi, écrivant à merveille lu latin et le français, curieuse du progrès des sciences, que la cour de Modène a toujours protégées, et ayant une telle souplesse d’intelligence que quelques mois vont lui suffire pour apprendre l’anglais, pour devenir infiniment plus anglaise qu’aucune autre des princesses étrangères que le mariage a jamais transportées à la cour de Londres : mais elle a, dès lors, un simple et