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séances à la gaillarde, et le duc mon mari est accusé de tous les maux qui se sont produits dans le royaume depuis ces deux ans. Puisse Dieu nous accorder la patience !... Mais ici, en attendant, tout le monde nous traite de la manière la plus touchante ; et nous nous arrangerions assez d’y rester, puisqu’ils ne veulent pas de nous en Angleterre : mais j’ai bien peur qu’ils ne se disent que nous sommes encore trop à notre aise, et ne nous envoient quelque part plus loin. » La mort de Charles II, en février 1685, la désole au point de la rendre malade ; et les premiers mots qu’elle peut écrire, ensuite, après huit jours de fièvre, sont pour s’inquiéter de son jeune frère, pour le détourner d’une liaison quelle juge fâcheuse, et puis, une fois de plus, pour se louer et s’étonner des marques de bonté dont on la comblée.

Mais c’est pendant les trente années de son dernier exil qu’il faut la voir, telle que nous la montrent sa conversation et ses lettres, souriant à la fatalité qui s’acharne contre elle. Un jour, en 1709, elle apprend que ses chères religieuses de Chaillot, la sachant privée de sa petite rente, tiennent de louer, à une dame plus riche, les chambres qui, depuis des années, lui étaient réservées dans leur couvent. elle sourit encore, sous cette humiliation : et bientôt nous la retrouvons plus affectueuse que jamais pour ses bonnes amies de Chaillot, plaisantant avec elles des rubans nouveaux qu’elle vient de coudre à de vieux souliers, les aidant à soigner leurs malades, leur racontant toutes les minutes un peu ensoleillées de sa pauvre vie, ou bien leur disant combien elle est reconnaissante à Dieu de lui avoir toujours caché l’avenir. « Quand je suis arrivée en France, j’aurais été au désespoir si l’on m’avait annoncé que je devrais y rester deux ans : et voilà vingt-trois ans que nous y demeurons ! »

« Je ne connais personne d’aussi saint ! » disait d’elle Bourdaloue. qui la rencontrait là. Mais jamais sa sainteté ne l’a empêchée d’être aimable, ni, somme toute, heureuse. Et peut-être n’est-ce pas l’un des moindres mérites du précieux recueil de M. Martin Halle, de nous rappeler que, même dans les conditions les plus pathétiques, les saints peuvent fort bien, dès cette vie, avoir leur récompense.


T. DE WYZEWA.