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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/115

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en province et n’avais pas eu l’honneur de la rencontrer. Je serais heureuse de lui être présentée. » L’incident n’eut pas d’autre suite que la présentation de deux personnes qui avaient, officiellement, l’obligation de se connaître, et qui, en fait, ne se sont plus jamais revues.

Le monde politique était donc placé, pour ainsi dire, en marge du vrai monde. Les hommes avaient entre eux des relations d’affaires ou se rencontraient dans les clubs ; mais les femmes ne se voyaient pas, tout au moins ne se recevaient pas. Ce n’est pas l’orgueil de caste, — il n’y a rien de semblable en Australie, — qui avait établi cette démarcation ; c’est un fait matériel, celui du recrutement du personnel parlementaire, pendant les premières années du régime de l’autonomie.

Dans un pays neuf, non seulement il n’y a pas d’aristocratie, mais il n’y a pas de gens inoccupés (sauf dans le monde dit des « travailleurs »). Les fortunes gagnées n’ont eu le temps ni souvent la possibilité d’être mises à l’abri dans des placemens de tout repos. Elles sont engagées dans les mêmes entreprises qui les ont produites ou dans des combinaisons réclamant une constante surveillance. Or, la politique est fort absorbante. Par conséquent, en dépit de l’apparence paradoxale de l’assertion, on peut dire que les Australiens riches n’avaient pas les moyens de faire de la politique. Celle-ci d’ailleurs, en Australie comme partout, ne récompense que médiocrement les ambitions désintéressées. Ceux qui s’engageaient dans les affaires publiques étaient, en grande majorité, des hommes jeunes, pauvres et audacieux, comptant pour rien ou peu de chose les distinctions sociales et le charme des bonnes manières. Ils se mariaient pour ne pas être seuls et s’épargner le souci des détails matériels de la vie, quelquefois pour l’assistance pécuniaire ou morale que leur pouvait offrir l’alliance d’une famille aisée, ou simplement au hasard d’une rencontre. En somme, ils se mariaient, — je n’oserais dire : mal, — mais maladroitement. Quand, à force de talent et d’activité, ils étaient arrivés membres du Parlement, sous-secrétaires d’Etat Ou ministres, leurs femmes n’avaient pu les suivre dans leur ascension sociale, et, ne fréquentant pas un monde où elles se fussent trouvées mal à l’aise, renonçaient aux satisfactions d’amour-propre que les succès de leurs époux paraissaient devoir leur assurer.

On devine les inconvéniens de cette anomalie. Si démocratique