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b REVUE DES DEUX MONDES.

contre le mur... Les mots de Gritte : fête... préparatifs... avaient eu pour effet de me rendre le sommeil plus désirable. « Cher sommeil !

pensai-je... réseau protecteur contre les nouvelles heures 

incertaines ou méchantes, enveloppe-moi, laisse-moi ne ressentir de ce jour nouveau que sa clarté, tamisée par mes paupières appesanties, que sa fraîcheur de fin d’été qui glisse par l’entrebâillement de la fenêtre. Sommeil, retiens-moi !... Je ne me rappelle plus ce qui me trouble, ce qui m’effraie dans le réveil. Ce n’est point une misère physique, mon sang court vif et sain dans mes membres forts. Ce n’est pas l’appréhension de catastrophes personnelles : je ne crains rien des hommes, et deux sourires de femmes me promettent la tendresse, voire l’amour. La cause de mon désir d’inconscience, c’est quelque chose d’indéfini et de fort, mais je ne sais plus ce que c’est, et il me plaît de l’avoir oublié au cours de la nuit, car je ne pourrai plus dormir quand je me le serai rappelé... Enveloppe-moi, cher sommeil, prolonge mon oubli... »

Soudain, je me dresse- sur mon séant, franchement réveillé... Un coup de canon a tonné au château, et des clameurs de joie, lancées des villas, de la place, de tout le Luftkurort, y répondent. Mes yeux ouverts regardent ; le soleil triomphe dans ma chambre ; l’ombre d’un drapeau suspendu à la terrasse et dont la brise matinale agite la flamme, ondule sur le mur du fond. Et aussitôt je sais pourquoi je ne voulais pas me réveiller, malgré l’adorable clarté, malgré la joie de la rue, malgré l’appel de Gritte et ma promesse de rejoindre la princesse Else à la Fasanerie... Aujourd’hui, c’est le 2 septembre, le jour de Sedan. Si l’on tire le canon au château, si les gamines et les polissons de Rothberg-Dorf s’endimanchent, encore que ce soit un simple mercredi ; si le drapeau bleu de Rothberg-Steiuach flotte à la terrasse entre le balcon de M. Moloch et le mien ; si les oies grises ou blanches se débattent dans la Rotha avec des clameurs plus insolentes ; si, enfin, cet après-midi, devant la Cour et le peuple assemblé, dans le Thiergarten, on doit, au bruit des fanfares et des discours, dévoiler une statue en plâtre de Bismarck, en attendant le bronze que Cannstatt est en train de fondre, c’est parce qu’il y a trente-cinq ans, par une journée de soleil comme celle-ci, 17 000 Français étaient tombés et les 117000 survivans n ayant à choisir que de mourir sans objet ou de se re»dre, — leur général signa la capitulation qui remettait à Guillaume I"