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dans les distractions de la société australienne. Ici, il est bon de citer des chiffres pour être cru.

Je lis dans le Bulletin de la Chambre de commerce française en Australie qu’on y a importé, en 1904, 9102 pianos et 1 735 harmoniums. Je passe la statistique concernant les autres instrumens. Total : 10 837. Multipliez ce nombre par la durée normale d’un piano, puis répartissez le produit sur quatre millions d’habitans, après déduction des enfans, des personnes âgées, infirmes ou malades, des soldats à la caserne, des pauvres diables sans ressources et sans gîte, etc., le résultat donnera la mesure de la mélomanie des Australiens. Un peuple qui possède une telle quantité d’instrumens de musique, — pour son plaisir, — est excusable de se croire, au moins en cette matière, doué d’une aptitude au-dessus de la moyenne. Je le veux bien admettre ; cependant l’Australie n’a produit jusqu’ici aucun grand compositeur. Les Australiens ne sont encore que les fidèles du culte d’Euterpe et de Polymnie. Ils y assistent et n’y sacrifient pas.

Il est donc permis de se demander si cette passion ne peut s’expliquer, dans une certaine mesure, en observant que, dans les réunions mondaines, la musique dispense des fatigues d’une conversation prolongée. L’hypothèse est vraisemblable. L’Australien, comme l’Anglais, possède la charmante qualité de ne pas être intrusive (indiscret). Il ne vous entretient pas de vos affaires et, moins encore, des siennes. En sorte que, de personne à personne, les questions sont limitées à des sujets qui ne doivent pas être intéressans. Du mouvement artistique et littéraire, il ne connaît, et vaguement, que celui de l’Angleterre, d’ailleurs peu actif. La philosophie, l’histoire, la religion, lui paraissent d’un abord sévère et d’une étude difficile. Les anecdotes « légères » sont proscrites. Quant au jeu des répliques sur des subtilités, dont nous abusons en France, il y est inhabile. Sans manquer d’humour, il n’entend rien à l’ironie ; elle lui déplaît d’autant plus qu’il distingue mal l’ironie mordante de la plaisanterie inoffensive. La causerie n’a donc que peu de ressources ; en sorte que la musique, qui n’impose pas toujours le silence aux auditeurs, mais l’autorise, apporte dans les salons australiens l’agrément et le repos tout à la fois. Ceci n’est qu’une supposition.

On entend souvent, en Australie, d’excellente musique. Les