Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/127

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et le concours de quelques complaisances choisies. Cela n’a qu’un rapport d’apparence avec l’art délicat, réclamant tant de préparations, d’ingéniosité, d’initiative, une si exacte connaissance des situations, surtout des valeurs individuelles, qui est celui de former un salon et d’en faire un organe d’influence mondaine. Cet art, en Australie, est, comme les autres, à ses débuts. Il est vrai que la société australienne n’existe guère que depuis deux générations : on doit lui faire crédit. D’autre part, elle est en présence d’une grosse difficulté, suffisante pour faire échouer les plus intelligentes entreprises. C’est l’esprit égalitaire de la population. Il engendre des prétentions et des susceptibilités excessives, et se place en directe opposition avec les nécessités des relations mondaines, celles-ci ne pouvant se fonder que sur des nuances et des distinctions.

Pour éviter des froissemens, on est ainsi amené à sacrifier ses préférences et à se couvrir de l’autorité des situations acquises ou acceptées. On se fait donc un entourage des gens qu’on croit qu’il faut inviter ; c’est-à-dire qu’on s’incline d’avance devant la critique d’autrui. C’est elle qui fait votre liste, et cela suffit pour qu’un élément anti-sociable se soit introduit dans la maison. Pourquoi les réceptions officielles sont-elles froides, partout, même en France où l’étiquette n’est pas bien sévère ? La moyenne des gens qui composent ces réunions n’est pas inférieure, par la culture et la bonne tenue, à la moyenne de ceux qu’on rencontre dans des salons fort agréables. C’est qu’ils sont là en vertu d’un droit, et non d’un choix. Une femme intelligente, — si elle n’a d’autre objet en vue que d’avoir une maison recherchée —, sait que ses préférences seront son meilleur guide dans le choix de ses relations. Ainsi, les personnes qu’elle invitera seront justement celles qu’elle doit inviter, parce qu’il y aura déjà entre elles un lien nécessaire, celui qui rapproche les unes des autres les affinités d’esprit, de goûts, de manières, que la maîtresse de céans partage ou qui, tout au moins, l’intéressent. Il s’y trouvera probablement aussi des équivalences et des similitudes de situation. Ce sera pour le mieux ; elles faciliteront les rapports, mais parce que leur rencontre aura été, en quelque sorte, l’effet d’un heureux hasard et non d’un classement imposé par une règle ou un usage.

Ce procédé si naturel ne semble pas pouvoir être employé en Australie. Il y provoquerait des tempêtes. Il en résulte que beaucoup