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assister ; deux mille invitations avaient été lancées. La mort du Tsar, survenue au début de ces réjouissances, dérangeait tous les plans. Ajourner les courses, il n’y fallait pas penser. C’eût été un défi à la passion populaire. Un instant, on eut l’idée de supprimer les bals. Mais alors, que de désillusions ! Partant, que de critiques ! Les ministres furent sans doute consultés. Peut-être le Foreign Office donna-t-il son consentement. Ce qui est certain, c’est que lord Hopetoun n’osa pas décommander ses fêtes ; et, le 5 novembre, quatre jours après la mort de l’Empereur, on dansait au palais du gouvernement. Lord Hopetoun ouvrait le bal en un quadrille d’honneur (le vice inégal set, dit-on là-bas) où figuraient les gouverneurs de Nouvelle-Galles du Sud, de l’Australie occidentale et de Tasmanie, lady Hopetoun et plusieurs autres charmantes ladies, plus officielles les unes que les autres. Seuls, les membres du corps consulaire s’étaient abstenus, par égard pour leur collègue de Russie.

La presse continentale a relevé l’incident, en attribuant au gouverneur une intention discourtoise qu’il était incapable d’avoir. L’anecdote montre seulement l’importance du Cup day en Australie, en même temps qu’il souligne l’extrême complaisance des gouverneurs à s’incliner devant les désirs ou les fantaisies du peuple.

Les courses contribuent donc à donner un élément d’activité et une impulsion d’élégance à la société australienne. Malheureusement, elles propagent le vice du jeu dans la nation, au delà, — ce n’est pas peu dire, — de ce qu’on voit en France. On n’a pas osé instituer en Australie le totalisator (pari mutuel), par crainte d’encourager les joueurs. Mais l’exploitation colossale à laquelle se livrent les bookmakers ne les décourage en aucune façon et les lois édictées pour la suppression des agences de paris sont impuissantes à enrayer le mal.

Il est curieux d’observer que, dans ce pays : où le sport hippique tient une place si considérable, l’équitation est délaissée. Le cheval, hors des courses, n’y est employé qu’au transport. Les facteurs de la poste sont à cheval, les squatters des prairies parcourent leurs stations à cheval, les propriétaires ruraux inspectent leurs cultures à cheval, mais la rencontre d’un cavalier ou d’une amazone en promenade est chose rare. L’équivalent de Rotten row à Londres ou de notre allée de Longchamp au Bois de Boulogne n’existe aux abords d’aucune grande ville australienne.