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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/145

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février 1814 le même empereur François Ier avait donné au roi Murat un papier dûment libellé, et que ce papier secret, annihilant à l’avance les pieuses intentions de l’Autriche, autorisait Sa Majesté Napolitaine à prélever un lot de quatre cent mille âmes sur les anciens États romains[1]. Pie VII, pour s’éclairer, adressait à Sa Majesté Apostolique lettres sur lettres ; l’Empereur alors répondait par cette courtoise équivoque : « Rien n’a été et rien ne sera omis par moi pour concilier les intérêts généraux avec ceux du Saint-Siège. » — « Mais jamais, protestait Pie VII, ni dans le passé ni dans le présent, les intérêts du Saint-Siège n’ont fait tort à d’autres intérêts[2], » Et François Ier, cette fois, ne répondait plus du tout. Le Pape et l’Empereur, prudemment, coupaient court à des explications qui ne faisaient qu’accentuer le désaccord.

Les dispositions des autres puissances européennes à l’endroit de Pie VII étaient analogues à celles de François Ier. Très sincèrement des esprits comme Humboldt, comme lord Castlereagh, comme le futur George IV, vénéraient Pie VII à cause de ses malheurs : « On ne peut voir pape plus saint, héros plus grand, homme plus courageux, » disait à Consalvi le prince régent d’Angleterre[3]. Très sincèrement, ils comptaient trouver un vrai plaisir à lui plaire, si la politique le permettait. Mais que pesait pour chacun d’eux la destinée des États de l’Église en face de la raison d’Etat ? Et la raison d’Etat remontrait à toutes les puissances de l’Europe que la solution de la question pontificale devait être ajournée jusqu’après le règlement des grandes difficultés européennes. Ou bien ces difficultés entraîneraient de nouveaux conflits, ou bien un pacifique congrès les aplanirait : dans un cas comme dans l’autre, il semblait être sage de faire attendre au Pape la restitution complète de ses États.

Supposez en effet qu’une conflagration générale se fût déchaînée, telle qu’à certaines heures Gentz la crut prochaine, alors l’amitié du roi Murat, maître encore d’un bon tiers de l’Italie, aurait été disputée, comme un précieux renfort, entre les divers belligérans. Pouvait-on demander à l’Autriche, à la Prusse, à la Russie, de s’aliéner à l’avance ce concours éventuel, en insistant auprès de Murat pour qu’il évacuât, d’urgence et par contrainte,

  1. Rinieri, IV, p. 55-57.
  2. Van Duerm, op. cit., p. XLII-XLV.
  3. Rinieri, IV, p. 136 .