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les terres pontificales qu’il détenait ? Malheur aux rois qui prendraient trop généreusement le parti du Saint-Père ; leur cousin Joachim, en cas de bagarre européenne, enrôlerait sa vaillance et ses troupes au service de leurs ennemis. Il serait vaincu peut-être, mais un Murai accepte-t-il jamais d’être vaincu ? Il rebondirait, plus dangereux encore, s’ingénierait à soulever l’Italie tout entière, à unifier sous sa royauté ce pays dont on lui chicanerait une parcelle, et dérouterait pour longtemps les cabinets de l’Europe dans leurs savans desseins de reconstruction. En 1814 on n’avait pas encore inventé, pour évincer Murat de la place trop grande qu’il tenait en ce monde, l’idée du guet-apens qui le conduisit au Pizzo.

Que l’Europe, au contraire, se réorganisât sans faire couler de sang, — d’autre sang que celui de Murat ; que les peuples étonnés n’eussent point à s’entre-tuer pour ménager entre les rois le baiser Lamourette qui sanctionnerait l’équilibre du monde : alors, dans cette riante hypothèse, la paix européenne résulterait d’une ingénieuse politique de compensations qui jetterait sur le marché diplomatique un certain nombre de lots de terre, et qui, les distribuant à bon escient, apaiserait les convoitises ou rassérénerait les jalousies des divers souverains. Raison décisive, si jamais il en fut, pour laisser en déshérence, provisoirement, quelques-unes des anciennes provinces pontificales ! On pourrait en avoir besoin au dernier moment, comme d’une poire pour la soif, et contenter ainsi les appétits mal satisfaits. Si d’ailleurs on pouvait s’en passer, et qu’elles ne tentassent aucun larron, s’il n’était pas nécessaire à la paix européenne que le vicaire du Dieu de paix se laissât dépouiller, alors, tout à la fin, on lui rendrait son bien, sans lui demander rien de plus qu’une bénédiction pour l’honnête et loyale Europe.

Ainsi raisonnaient entre eux les rois et leurs ministres ; car des peuples, il n’en était nullement question. Deux Bolonais de bonne race et d’esprit féal, ayant eu l’idée de recueillir des signatures dans les Légations pour attester l’attachement du peuple à la souveraineté du Saint-Siège, furent tout de suite suspects à la police autrichienne et passèrent deux mois à Gratz avant d’être autorisés à porter jusqu’à Vienne leurs liasses de paraphes[1]. De quoi se mêlaient, en vérité, ces gens des Légations, de vouloir

  1. Rinieri, IV, p. 314 et suiv.