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sans cesse en effet, il prêchait la modération, au risque d’agacer Pacca, qui sans cesse le rassurait. Il est à croire que, si la mansuétude de Pie VII enraya tout de suite les aspirations réactionnaires de certains prélats et réduisit au silence leurs rancunes et leurs désirs de vengeance[1], les lointaines instances de Consalvi dictèrent en quelque mesure cette charitable conduite.

Le même esprit d’à-propos et d’opportunité dont il souhaitait que l’administration pontificale s’inspirât, conseillait et dirigeait, à Vienne, sa propre attitude et ses propres démarches. « Les pensers et les maximes des temps présens sont changés, écrivait-il à Pacca dès le 16 novembre 1814, et dans certaines affaires (je ne parle pas de celles qui touchent immédiatement la religion) on ne saurait sans un grand préjudice parler et agir comme on l’eût fait avant un tel changement. J’aurais voulu, au sujet de la restitution des biens appartenant à l’Église germanique, faire, dans ma note, une demande plus modeste, mais je n’y étais pas autorisé. J’ai donc serré les dents, et j’ai fait la demande dans toute son extension ; mais je confesse que, dans la certitude de l’impossibilité de la réussite et du mauvais effet qui en peut résulter, j’ai fait cette demande à contre-cœur, me souvenant du fameux adage : Frustra niti, neque aliud sese fatigando nisi odium quærere, extremæ dementiæ est. »

Une autre fois, le 4 mars 1815, il disait encore : « Contre de pareilles sécularisations, l’on a protesté dans les temps antiques ; mais entre les temps présens et les temps antiques, il y a plus de différence qu’entre l’époque qui suivit le déluge et l’âge antédiluvien ; et non seulement, en protestant, nous tomberons dans le plus grand ridicule, mais, ce qui est pis, nous indisposerons hautement, pour des choses impossibles et qui ne donnent lieu à aucun espoir, tous les princes que les intérêts de la religion nous invitent impérieusement à gagner à notre cause. »

On aime ici la franchise de la pensée, la courageuse fermeté de ces leçons de souplesse, l’exactitude avec laquelle Consalvi savait mettre sa montre à l’heure universelle, le tact éclairé qui lui faisait sentir que la justice, pour avoir raison, a besoin d’une certaine justesse d’accent, la perspicacité politique qui lui faisait

  1. Sur le l’établissement de la domination pontificale à Rome et sur la grande modération dont fit preuve le gouvernement restauré, voyez Madelin, La Rome de Napoléon, p. 676-681.