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comprendre que les meilleurs avocats des causes les plus saintes sont ceux qui savent graduer et nuancer leurs protestations, et parfois même les assourdir. Si rigoureusement immuables que soient les thèses, l’usage constant de la grosse voix dans les concerts diplomatiques deviendrait aussi fastidieux que le serait, en musique, l’ébranlement perpétuel de la pédale. Consalvi voulait que la papauté ne grossît la voix qu’à bon escient.

Sincère avec lui-même, avec autrui et avec l’histoire, il était naturel que, dans les débats épineux auxquels allait donner lieu, à Vienne, la destinée des provinces pontificales, les mots qu’il dirait, plus ou moins fermes, d’une voix plus ou moins haute, fussent recueillis, étudiés et appréciés.


IV

Pas une seule minute, les destinées d’Avignon et de Carpentras ne furent remises en litige : le roi de France, à Paris ; même, avait laissé comprendre au cardinal que son peuple, pour l’instant, n’accepterait pas la rétrocession de ces deux villes. En félicitant Consalvi de savoir manier le coloris de Raphaël, Pacca, dès le 13 octobre 1814, lui donnait à entendre avec quelle douceur de teintes, avec quel art des pénombres, pouvaient être dessinées les phrases de réserve auxquelles devait donner lieu l’occupation d’Avignon[1]. De même que la France tenait à garder Avignon, ainsi l’Autriche, au nom de certaines susceptibilités stratégiques, voulait être maîtresse de la parcelle des Légations s’étendant sur la rive gauche du Pô : ce fut sans grande ténacité que Consalvi combattit ce désir. Satisfait à l’avance si l’Autriche, à la fin du Congrès, lui permettait de protester contre cette spoliation, il en obtint la permission, et, platoniquement, il en profita. L’affectation des Marches, celle des Légations, celle de Bénévent, étaient singulièrement plus ardues.

Au regard du Saint-Siège, un principe d’équité suffisait à en décider : il fallait rendre au vicaire de Dieu ce qui était au vicaire de Dieu. Mais la diplomatie européenne détestait ces conclusions trop simples : elle considérait l’affaire des Marches comme une question napolitaine, l’affaire des Légations comme une question européenne, et l’affaire de Bénévent comme intéressant

  1. Rinieri, V, p. 33.