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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/159

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eux-mêmes, avaient besoin de Bologne et des Légations pour remettre l’Europe sur ses bases.

« Je crains, écrivait le 28 décembre 1814 M. de Saint-Marsan, plénipotentiaire du roi de Sardaigne, que la discussion sur les deux Marie-Louise ne finisse par ramener un projet de dépouiller le Pape[1]. » Et, le 31 décembre, une lettre du cardinal Fesch, adressée de Rome au général Bertrand, avisait la petite cour de l’île d’Elbe que les Légations reviendraient probablement à l’ancienne impératrice Marie-Louise[2] : le gouvernement pontifical, qui fit saisir la lettre, fut médiocrement rassuré ; c’était une terrible étrenne qu’un pareil pronostic. Gentz, familier à tous les arcanes du Congrès, n’était pas beaucoup plus optimiste, le 12 février 1815, lorsqu’il écrivait à l’hospodar de Valachie : « Les limites du territoire du Pape sont sujettes encore à plusieurs chances incertaines[3]. »

C’est dans la semaine même où Gentz éprouvait cette impression, que s’engagea par surprise entre Consalvi et Talleyrand un dialogue des plus animés[4]. M. de Labrador, représentant de l’Espagne, avait reçu ses collègues à dîner. On sortait de table ; M. de Noailles[5], qui faisait partie de l’ambassade française, se mit à dire en riant : « Voilà notre cardinal qui veut avoir encore Bénévent et Ponte Corvo ; il voudra aussi avoir Avignon et Carpentras ; il est insatiable, mais il ne les aura pas. Il aura bien ses trois Légations, et il nous fera quittance pour le reste. »

Consalvi feignit de n’entendre point, M. de Noailles insistait ; le cardinal, alors, de répondre : « Je recevrai avec reconnaissance ce que vous me donnerez, mais je ne vous ferai pas quittance pour le reste. »

Que le Pape se refusât, quoi qu’il advînt, à donner quittance pour Bénévent et Ponte Corvo, cela ne faisait pas l’affaire de M. de Talleyrand ; et, sur un signe de M. de Noailles, M. de Talleyrand intervint.


Il entra dans notre cercle, raconte Consalvi, et commença avec un rire sardonique à parler des Légations, disant : « Voilà le cardinal qui aura fait

  1. Van Duerm, op. cit., p. L.
  2. Rinieri, V, p. 217.
  3. Metternich, Mémoires, II, p. 499.
  4. Rinieri, V, p. 276 et suiv.
  5. Le comte Alexis de Noailles était le même qui, en 1809, avait répandu dans tout l’empire la bulle d’excommunication contre Napoléon.