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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/160

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une belle affaire au Congrès. Les Légations lui seront données : je dis données, et non pas rendues. Il y a une différence de grande conséquence dans cela. » Comprenant que le propos tendait à nous contester tout droit, et qu’on visait à pouvoir nous dire : « Remerciez-nous de ce cadeau-ci, et puis de celui-là et n’en cherchez pas d’autre, car en somme rien ne vous revient ; » je déclinai, tant que je pus, d’entrer en discussion publique, et je répondis toujours que nous recevrions les Légations avec reconnaissance. Lui, insistant d’autant plus, redisait : « Nous déclarerons expressément que nous les donnerons, et non pas que nous les rendrons. » Je répondis : « Vous direz ce que vous voudrez. » Mais, répliqua-t-il, vous les recevrez comme données et non pas comme rendues. » Je répondis simplement : « Nous les recevrons. » Et il reprenait : « Mais vous les considérerez comme données. »

Pour tâcher de détourner le discours, je dis : « Oh bien ! ce serait une tyrannie de nouvelle espèce que de vouloir forcer nos pensées. » Tous se mirent à rire. M. de Talleyrand continua et me dit : « Vous aurez les Légations et vous signerez le traité de Paris. »

Ne pouvant, en ne répondant point, lui faire croire que je l’aurais signé, je répondis : « Est-ce que nous sommes en guerre avec la France ? Si nous sommes en guerre, faisons notre traité de paix, comme il a été fait avec tous les autres. Si nous ne sommes pas en guerre, nous n’avons pas de traité à signer. » Contraint par l’argument, il riposta : « Eh bien, ne signez pas le traité de Paris, mais alors le traité de Tolentino restera dans toute sa validité, et ce ne sera plus le seul Avignon que vous n’aurez pas, car le traité de Tolentino vous ôte aussi les trois Légations[1]. »


Séance tenante, Consalvi développa la thèse pontificale au sujet de la nullité du traité de Tolentino : il sentit ses argumens sans prise, et finit par dire à Talleyrand qu’il ne comprenait pas comment on pouvait invoquer un traité conclu avec une autorité que le roi de France considérait comme illégitime. Louis XVIII, en effet, comptait l’année 1814 comme la vingtième de son règne : pourquoi la France prenait-elle au sérieux le traité de Tolentino, signé par un intrus en l’absence de son roi ? C’était une jolie façon défaire dévier l’entretien : on était tout oreilles dans le salon : que pensait M. de Talleyrand de la légitimité de la Révolution, de celle de Napoléon ? Les témoins s’apprêtaient à être des rieurs, et Consalvi les aurait peut-être pour lui. Mais l’expert interlocuteur éluda l’obstacle.


M. de Talleyrand, allant de l’avant, me dit brusquement, d’un verbe haut : « On prendra bien des précautions pour s’assurer de la chose. La question d’Avignon et de Carpentras est enclose dans celle des trois Légations. Vous « aurez jamais ces deux, pays-là ; et si vous ne signez pas le traité

  1. Rinieri, V, p. 276.