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avec d’autres détenteurs ; aussi céder sans protester ni réclamer pourrait nous être très nuisible. Et maintenant, si l’on ne veut rien nous donner parce que nous ne voulons pas faire de cessions, je n’ai rien à dire sinon que Dieu nous viendra en aide, et, s’il lui plaît, nous pourrons reprendre ce qui nous appartient[1].


VII

C’est à la clarté même de son devoir que le cardinal Consalvi perçait l’obscurité des faits, et voyait scintiller, au travers, je ne sais quels espoirs imprévus. Talleyrand était nanti, mais Talleyrand ne consentirait-il pas un échange ? Qu’était-ce que Bénévent, sinon un gage susceptible d’être négocié ? L’Europe, de son côté, ne tenait pas à ce que le Pape se fâchât ; on prit le parti, au début de mai, de considérer Bénévent comme une enclave du royaume de Naples, et de décider qu’à ce titre, Bénévent serait donné au roi Ferdinand de Bourbon, rétabli dans ses États. Si le roi de Naples en voulait faire présent à Talleyrand, c’était affaire à lui, et cela ne regardait plus le Congrès. Consalvi devina l’intrigue : « J’ai la certitude, disait-il à Pacca le 9 mai, que depuis le commencement du Congrès il a été convenu que Bénévent serait l’Haceldama hoc est ager sanguinis du vicaire de Jésus-Christ, pour prix des services rendus par M. de Talleyrand au roi Ferdinand[2]. » Mais tandis que, dans l’affaire des Marches et dans l’affaire des Légations, Consalvi avait toujours conseillé au Saint-Siège la patience, il estimait au contraire que, pour cette question de Bénévent, le Pape devait parler haut ; il alla jusqu’à dire à Metternich que si Ferdinand violait les droits du Pape sur Bénévent, les propres droits de Ferdinand sur Naples pourraient être frappés de caducité par le Saint-Siège. Les excommunications pontificales, on l’avait vu quelques semaines plus tôt, n’étaient pas au service de l’Europe, mais l’Europe, peut-être, allait brusquement en percevoir l’écho.

Consalvi croyait l’heure venue d’élever la voix. Murat n’était plus qu’un vaincu ; pourquoi faisait-on attendre au Vatican la restitution des Marches ? L’Autriche percevait à son propre profit les impôts dans les Légations ; pourquoi prolonger la fiction en vertu de laquelle les Légations n’étaient encore à personne ? M. de Talleyrand avait droit à la gratitude du Bourbon de Naples, mais pourquoi le Bourbon de Naples acquitterait-il cette gratitude

  1. Rinieri, V, p. 483.
  2. Ibid., V, p. 574.