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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/162

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et se jettera en Suisse, » reprenait Talleyrand. — « Il ira droit à Paris, » ripostait Metternich[1]. Napoléon par son audace, la France par son accueil, justifiaient Metternich.

Lorsqu’on sut à Vienne qu’il marchait sur Paris, qu’il y rentrait comme chez lui, on regarda la France comme perdue pour les Bourbons ; M. de Talleyrand, qu’on observait beaucoup, semblait plus froid pour eux... Consalvi se demandait si tout cela ne finirait point par le règne du roi de Rome... On installerait le fils sur les ruines du père ; quant au père, même au risque d’une guerre universelle, on ne voulait plus qu’il régnât. Il semblait même que le Congrès consacrât à sa façon la déchéance du revenant de l’île d’Elbe, en jetant le duché de Parme à sa femme, à la fin de mars ; on pourvoyait également la reine d’Etrurie ; les Légations restaient vacantes pour le Pape. Mais voici qu’au moment où, du côté de Bologne, Consalvi trouvait le ciel plus serein, le courrier de Pacca lui apportait la nouvelle de l’invasion des États romains par Murat. Il s’agissait bien, désormais, de la reddition des Marches ! Murat, de nouveau, s’approchait de Rome ; et le 24 mars au soir, Pie VII alarmé s’enfuyait vers le Nord. Après tant de protocoles succédant à tant de batailles, ii semblait qu’il en fût des destinées de l’Europe comme de la tapisserie de Pénélope : de nouveau, comme treize mois auparavant, Rome était veuve de son pape et Paris possédait son Napoléon.

Seul à peu près dans cette bagarre d’anxiétés, M. de Talleyrand restait calme : le 12 avril, on avisait Consalvi qu’il venait de se faire octroyer Bénévent[2]. Pour le Pape, rien encore n’était fait ; mais M. de Talleyrand était pourvu. Metternich insinuait à Consalvi que le Pape devrait, coûte que coûte, renoncer à parler de son droit, accepter avec soumission le point de vue qu’avait adopté le Congrès, et saisir avec gratitude, bien vite, les cadeaux de terres qui lui seraient proposés.


J’ai toujours prévu, écrivait le cardinal, qu’un jour ou l’autre viendrait le moment où je me romprais le cou : mais testis est mihi Deus, peu m’importe, pourvu que j’accomplisse mon devoir et que le Saint-Père soit servi. Il faut encore remarquer qu’il est encore impossible de savoir comment finiront les choses, et il se pourrait que les alliés nous donnassent ce qu’ils n’ont pas, ou ce qu’ils n’auront pas longtemps, et que nous ayons affaire

  1. Metternich, Mémoires, 1, p. 206.
  2. Rinieri, V, p. 473.