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lorsqu’il sera possible, la date de composition de chaque Essai ; 2o d’indiquer les sources de Montaigne ; 3o d’expliquer les allusions historiques. » Mais M. Strowski nous permettra-t-il d’exprimer un souhait à cet égard, et tandis qu’il sera comme aux prises avec ces questions d’érudition, ne voudra-t-il pas nous dire, avec un peu plus d’abondance, et avant tout le reste, les raisons qu’il a de préférer « absolument » le texte de l’« exemplaire de Bordeaux » à celui de l’édition de 1595 ?

Il n’y a pas plus de doute sur la provenance que sur l’authenticité de l’« exemplaire de Bordeaux. » Donné aux Feuillans, par la veuve de l’auteur des Essais, et conservé pieusement dans leur bibliothèque, comme le corps de Montaigne l’était dans leur église, il a passé, au temps de la Révolution, dans la bibliothèque municipale de Bordeaux ; et il n’en est plus sorti depuis lors. On ne saurait avoir de certificat d’origine plus assuré. On ne conteste pas non plus que les additions et indications dont il es ! surchargé, ne soient en général de la main de Montaigne. Mais, comme nous avons eu plus haut l’occasion de nous le demander, quel usage Montaigne lui-même eût-il fait de ces « allongeails » dans une nouvelle édition des Essais ? Ce qui augmente ici la difficulté de la question, c’est que l’exemplaire de Bordeaux n’a pas passé tout entier ni tel quel dans le texte de 1590. Or, le texte de 1595, c’est le texte fixé, — de concert avec la veuve de Montaigne et Pierre de Brach, — par Mlle  de Gournay, sa « fille d’adoption » dont on sait le respect quasi superstitieux pour la mémoire de son « Père ; » et aussi l’entière confiance que celui-ci avait mise en elle. Le passage qui la concerne, au chapitre 17 du second livre des Essais, est même assez désobligeant pour la femme et la fille de Montaigne. « Je ne regarde plus qu’elle au monde, » y dit textuellement Montaigne, non de sa fille, ni de sa femme, mais de Mlle  de Gournay. Il y a donc des chances pour que o de Gournay ait été le plus scrupuleux, le plus fidèle, le plus consciencieux des éditeurs. Aussi bien ne craint-elle pas d’en revendiquer elle-même la louange, et si nous voulions l’en croire, elle se serait gardée, même de « corriger » ce qu’il pouvait y avoir de manifestement « corrigeable » dans le texte de Montaigne. « J’ai secondé, nous dit-elle, ses intentions jusqu’à la superstition. Aussi n’ai-je pas rétivé, lorsque j’eusse jugé chose corrigeable, de plier et prosterner toutes les forces de mon dis-