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Oh ! vous devez savoir que, quand je parle de la Russie, je parle de l’Autriche ; ce qui convient à l’une convient à l’autre ; nos intérêts en ce qui regarde la Turquie sont parfaitement identiques…

Quant à l’Égypte, je comprends parfaitement l’importance de ce territoire pour l’Angleterre. Tout ce que je puis dire, c’est que si, en cas de partage après la chute de l’Empire ottoman, vous preniez possession de l’Égypte, je n’aurais pas d’objection à faire. J’en dirai autant de Candie ; cette île pourrait vous convenir, et je ne vois pas pourquoi elle ne ferait pas partie des possessions anglaises.


À quoi sir Hamilton repartit :


Ce que l’Angleterre souhaite en Égypte, c’est de s’assurer une rapide et libre communication entre la Métropole et l’Inde.


Tels sont bien, en effet, les grands intérêts permanens des puissances européennes ; la seule erreur du Tsar fut de croire à une conciliation, à un partage possible, en Orient, entre la Russie et la Grande-Bretagne : cette illusion a conduit Nicolas à la guerre de Crimée et au traité de Paris, qui évinçait la puissance russe de Constantinople et de la Méditerranée et la mettait, jusque dans la Mer-Noire, sous le contrôle de l’Angleterre. L’intérêt anglais, dans la question d’Orient, est bien réellement, comme Nicolas l’avait très bien vu, en Égypte et dans la domination de la Méditerranée orientale, ou plutôt, comme l’avait dit sir Hamilton Seymour, dans l’usage libre et assuré des routes de l’Inde ; l’Inde, c’est la fortune de l’Angleterre, la condition et le signe de sa domination maritime et économique ; c’est, tel que Disraeli et ses successeurs l’ont conçu, l’Empire. Avant comme depuis l’ouverture du canal de Suez, un État fort qui dominerait Constantinople et les Dardanelles, qui aurait le libre débouché sur la mer Égée, ou qui, maître des routes du Caucase, descendrait, par l’Arménie ou la Perse, vers la Mésopotamie et le golfe Persique, serait une menace permanente pour les routes terrestres ou maritimes de l’Inde et du commerce oriental. Les déserts qui entourent l’Égypte ne sont pas, pour le canal de Suez, une protection suffisante. Depuis Cambyse et Alexandre, nombreux sont les conquérans qui, venant d’Asie, ont attaqué et conquis l’Égypte par terre. Partie du Nil, l’armée de Bonaparte a envahi la Syrie, et celle d’Ibrahim a menacé deux fois Constantinople. Le désert n’est donc pas une barrière : possible, au temps où la redoutaient sir Hamilton Seymour ou Disraeli, une expédition de ce genre serait aujourd’hui facilitée par les chemins