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II

En Orient, la politique des grandes nations européennes est déterminée par des intérêts si considérables que les abandonner ou les trahir équivaudrait pour elles à l’abdication et à la déchéance définitive : des conditions géographiques, historiques, ethnographiques déterminent ces intérêts et en expliquent la permanence. Ils n’ont jamais été définis avec plus d’ampleur de vues et une clarté plus prophétique que dans les fameuses conversations entre le tsar Nicolas Ier et sir George Hamilton Seymour, qui furent comme la préface de la guerre de Crimée. Si connues qu’elles soient, elles méritent d’être répétées parce que c’est à elles qu’il faut toujours se référer quand on veut étudier l’évolution contemporaine de la question d’Orient. Le 9 janvier 1853, à une fête chez la grande-duchesse Hélène, le Tsar prend à part l’ambassadeur :


Tenez, lui dit-il, nous avons sur les bras un homme malade, un homme très malade ; ce serait, je vous le dis franchement, un grand malheur si, un de ces jours, il venait à nous échapper, surtout avant que toutes les dispositions nécessaires fussent prises.


Quelques jours plus tard, le 21 février, nouvel entretien, décisif :


Eh bien ! dit Nicolas, il y a certaines choses que je ne souffrirai jamais : et d’abord, pour ce qui nous regarde, je ne veux pas de l’occupation permanente de Constantinople par les Russes ; mais je ne veux pas davantage que Constantinople soit jamais occupée ni par les Anglais, ni par les Français, ni par aucune des grandes (puissances. Je ne permettrai jamais non plus qu’on tente de reconstruire un empire byzantin, ni que la Grèce obtienne une extension de territoire qui ferait d’elle un État puissant. Encore moins pourrais-je souffrir que la Turquie fût partagée en petites républiques, asiles tout faits pour les Kossuth, les Mazzini et autres révolutionnaires de l’Europe. Plutôt que de subir de tels arrangemens, je ferais la guerre et je la continuerais aussi longtemps qu’il me resterait un homme et un fusil…

Dieu me garde d’accuser personne à tort, mais il se passe à Constantinople et dans le Monténégro des choses qui sont bien suspectes. On serait tenté de croire que le gouvernement français cherche à brouiller les affaires en Orient, dans l’espoir d’arriver plus aisément à ses fins, par exemple, à la possession de Tunis.


Et pour répondre à une question que s’était permis de poser l’ambassadeur :