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monde ; elles ont été, et, jusqu’à ce que les conditions de leur existence politique ou économique viennent à subir un changement radical, elles resteront les premières intéressées au sort de Constantinople et de tout l’Empire ottoman. Les intérêts de l’Autriche-Hongrie dans les Balkans sont devenus considérables, mais on a toujours pu, on peut encore concevoir, en ce qui concerne la monarchie austro-hongroise, d’autres directions pour sa politique, d’autres emplois pour ses énergies ; pour elle, la question des détroits ne se pose pas, et il n’y a pas, entre ses intérêts et ceux de la Russie, incompatibilité irréductible : Salonique et Constantinople peuvent devenir, pour ainsi dire, deux solutions de la question d’Orient ; le sort de l’une n’est pas fatalement lié à celui de l’autre ; aussi a-t-il existé, à diverses reprises, des ententes et des combinaisons entre la politique russe et la politique austro-hongroise, tandis qu’il n’y en a pas eu, jusqu’à aujourd’hui, entre la politique anglaise et la politique russe. De leur antagonisme sont sorties jusqu’à présent toutes les crises de la question d’Orient. La Russie a plusieurs fois provoqué ces crises, mais c’est le cabinet de Londres qui, presque toujours, a tenu les fils et préparé les solutions. C’est donc du point de vue anglais que nous devrons le plus souvent regarder les problèmes orientaux : c’est le meilleur observatoire pour saisir les raisons, le sens et les conséquences d’une évolution qui dure depuis qu’il y a, en Europe, un Empire ottoman et qui, sans doute, est encore loin d’avoir atteint son terme.


III

Le principe de l’intégrité de l’Empire ottoman, quand lord Beaconsfield s’en servit comme d’un drapeau, au Congrès de Berlin[1], pour rallier les puissances à la politique britannique, était loin d’être une nouveauté ; il existait depuis longtemps dans l’arsenal politique de la Grande-Bretagne ; il lui avait servi en 1833 contre la Russie, en 1840 contre Méhémet-Ali et Louis-Philippe. L’armée française, devant Sébastopol, en avait assuré le triomphe, et le traité de Paris l’avait consacré comme l’un des fondemens de l’équilibre européen. La France, en Crimée,

  1. Il va sans dire que, pour tout ce paragraphe, l’excellent ouvrage d’Adolphe d’Avril : Négociations relatives au traité de Berlin (Leroux, 1886, in-8o) nous a beaucoup servi.