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changement politique » et inciter « la population de la Syrie, de l’Asie Mineure et de la Mésopotamie à compter sur la prompte chute de la dynastie ottomane et à tourner les yeux vers son successeur ? » C’est ce que, dans une note du 30 mai, se demandait lord Salisbury. La note était destinée à expliquer et à justifier le traité secret d’ « alliance défensive » que signaient le 4 juin, à Constantinople, M. Layard et Safvet-Pacha « pour la défense des territoires de Sa Majesté Impériale le Sultan par la force des armes. » « Afin de mettre l’Angleterre en mesure d’assurer les moyens nécessaires pour l’exécution de ses engagemens, Sa Majesté Impériale le Sultan consent, en outre, à assigner l’île de Chypre, pour être occupée et administrée par elle. » De Chypre, les forces anglaises seraient en mesure de surveiller l’Arménie, l’Asie Mineure, la Syrie ; l’île serait comme un bastion avancé flanquant la route de l’Inde. « Les Anglais ont besoin de Chypre et la prendront comme compensation. Ils ne feront pas les affaires des Turcs de nouveau pour rien. » C’est Benjamin Disraeli qui, en 1847, avait écrit, dans son roman Tancrède, cette phrase si singulièrement prophétique. Le premier ministre, en 1878, se chargeait de réaliser lui-même les prédictions du romancier.

De la grande crise de 1877-1878, la Russie sortait victorieuse des Turcs ; mais, dans son duel diplomatique avec l’Angleterre, c’est celle-ci qui décidément l’emportait. Pendant que la lutte absorbait les deux adversaires, des personnages nouveaux apparaissaient d’ailleurs sur le terrain de leur rivalité séculaire ; d’autres, qui gravitaient au second plan, passaient décidément au premier. Après le Congrès de Berlin il y a, dans la péninsule des Balkans, des États chrétiens, indépendans ou en voie de le devenir, Roumanie, Bulgarie, Serbie, Monténégro, Grèce, dont toute l’ambition sera de grandir, de s’affranchir de toute espèce de tutelle et qui n’auront pas, pour leur oppresseur turc, les mêmes ménagemens que les puissances européennes. Sans doute, en affranchissant les Slaves, la Russie comptait sur un bénéfice réel et durable ; ses sympathies pour les populations balkaniques, plus encore que de la parenté de race et de la similitude de religion étaient faites de son espérance de les voir devenir comme l’avant-garde de l’Empire des tsars sur la mer Egée ; mais il n’en reste pas moins vrai, à l’honneur de la politique russe, que, de la guerre de 1877, sont sortis la plupart des États, aujourd’hui si pleins de vie et d’avenir, qui occupent