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Langeac, Jeanne-Marie de la Croix, Catherine de Sienne, sainte Rose de Lima, sainte Angèle de Foligno, Mme Guyon, Marie Alacoque et toutes celles que je pourrais ajouter, disposaient pour revêtir leurs sentimens d’un autre langage. Quand elles parlent de caresses suaves, de joies qui font défaillir, quand elles appellent Jésus l’époux céleste, le fiancé, l’amant divin, quand elles tendent vers le « ravisseur leurs bras intérieurs, » quand elles se disent crucifiées de langueur, elles emploient pour exprimer leur amour mystique les seuls termes qu’ait inventés pour l’amour la langue des hommes. Bien avant qu’une sainte Thérèse ou une Marie de la Croix aient senti s’allumer dans leur cœur la flamme divine, les poètes de toutes les littératures avaient pleuré sur les tourmens de l’âme qui se sent délaissée, célébré les joies sans fin de celle qui se sent élue ; les premiers, et de tout temps, ils avaient parlé du martyre d’amour, des blessures d’amour, des feux de l’amour, chanté les ravissemens, les extases et ces délires de tendresse où les âmes croient se confondre. Les mystiques chrétiens n’ont eu qu’à puiser dans ce vocabulaire pour exprimer les élans d’amour qui les entraînaient vers Dieu et leurs angoisses et leurs tristesses, et leurs espérances el leurs joies. Et si dans leur langage ils ont trop souvent parlé des baisers divins, des caresses de l’époux, de ses embrassemens, c’est que les termes de l’amour humain leur arrivaient tout chargés d’une sensualité terrestre qui les avait créés pour s’exprimer[1].

Sans doute, quand on lit sainte Angèle de Foligno, Mme Guyon, Jeanne-Marie de la Croix, Catherine de Ricci, on éprouve quelque peine à ne pas prendre au pied de la lettre les déclarations d’amour qu’elles adressent à Jésus ; mais on fait plus facilement la part de la métaphore quand on rencontre les mêmes phrases tendres ou passionnées chez saint Bernard, chez Tauler ou chez saint François d’Assise. « Si quelqu’un de nous, » dit saint Bernard, « trouve, comme le prophète, du bonheur à s’attacher à Dieu ; si, pour parler plus clairement, l’un de nous est tellement un homme de désir qu’il aspire après la mort pour être uni au Christ, si ses désirs sont ardens, dévorans, continuels, celui-là recevra le Verbe qui le visitera en Epoux. Il reconnaîtra

  1. Cf. sur ce point spécial du langage mystique M. de Montmorand (les États mystiques, Rev. Philos., juillet 1905) et M. Ribot (Qu’est-ce qu’une Passion, Rev. Philos., mai 1906, p. 474).