Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/375

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il l’avait commencée, en parlant de Schumann, en célébrant les louanges de celle auprès de qui, disait-il, le maître, brisé par le travail, devait être si heureux de reposer sa tête fatiguée.


Je crois que quand vous lirez la vie de Schumann, cela vous intéressera comme moi, quoique dans un autre milieu. Moi, je l’ai lue sans désemparer. J’étais au Louvre, assis devant les Rembrandt (c’est mon « éternelle rumeur » à moi), et j’ai été bien intéressé. Sous cette biographie je vois une nature que je comprends. Qu’il a été malheureux, que Clara Schumann a dû être pour lui une Providence ! Elle est bien intéressante, avec cette continuelle persistance à faire entendre ses œuvres après sa mort. Comme cela doit être doux pour lui quand il l’entend ! Que la femme est merveilleuse quand elle est comme celle-là !... Vous verrez cette vie terrible avant son mariage, quand elle jouait dans les concerts, vous le verrez jaloux de ces gens du monde n’aimant rien et toujours prodigues des complimens qu’ils savent dire, puisqu’ils les débitent à toutes les femmes. Ce piano devenu presque impossible, cette famille en lutte, voilà l’explication de sa folie et, sans Clara, cela serait venu plus vite ; nous lui devons son œuvre peut-être. Ce sera un pèlerinage pour moi, si cet hiver elle vient à Paris donner des concerts.


Cette admiration reconnaissante pour Clara Schumann en raison de l’influence qu’une compagne aussi aimante et dévouée peut et doit exercer sur le génie et les créations de l’artiste à qui sa vie est associée, se manifeste à diverses reprises dans les lettres du peintre, comme s’il eût souhaité, pressenti le bonheur que l’avenir lui réservait à lui-même. Un jour, comme son enthousiasme croissant pour Schumann l’avait fait causer, lui si peu liant d’habitude, avec un autre habitué des Concerts populaires, ce dernier qui avait eu plusieurs fois l’occasion d’entendre jouer Clara, parlait d’elle à Fantin qui se hâtait de rapporter à Mme Edwards cette conversation si captivante :


« J’avais entendu parler d’elle, de sa tendresse pour son mari, de son amour pour la bonne musique. Je vis paraître une femme en noir, très simple, non plus jeune, mais qui avait dû être belle, de cette beauté que les artistes aiment ; elle se met au piano très simplement, avec respect, sans musique devant elle, et joue une sonate de Beethoven. Dès les premières notes, je compris que j’entendais quelque chose de nouveau, c’est-à-dire une artiste ; tous les souvenirs de pianistes s’envolèrent. Je n’avais pas là un de ces exécutans qui jouent, comme l’on dit, avec inspiration ; c’était un jeu pur, précis, mesuré, rigoureux. Tout d’abord, j’avais été pris d’attention pour quelque chose de nouveau, puis, au bout d’un quart d’heure, un intérêt très grand, puis l’enthousiasme, provoqué par le mérite de ce respect pour l’Art, pour l’œuvre de l’artiste. C’était un respect qui ressemblait au recueillement de la prière ; je venais d’entendre enfin la musique d’un homme aimé, de voir un artiste compris et vénéré. Ce fut très beau lorsqu’elle