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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/376

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joua des œuvres de son mari, et je ne puis vous en dire davantage, il faudrait l’entendre ; c’était la compréhension et le respect même que le jeu de cette grande artiste ! » — Moi, madame, enthousiaste et bien un peu fou, à ce que m’a dit cette personne, je pensais que Schumann devait être là, qu’il était là peut-être, pas l’homme, mais l’artiste, heureux et reconnaissant. Elle doit le penser aussi, j’en suis sûr.


Le jeune peintre va également passer quelques soirées aux Italiens. Il y entend Don Giovanni, dont l’ouverture lui rappelle les agréables séances de musique à Sunbury, chez ses amis ; Don Giovanni, merveilleux, dit-il, mais bien mal exécuté par de mauvais chanteurs, exception faite de la Patti dans Zerline, « avec un commandeur semblable à un garde national en plâtre et qui a fait éclater de rire toute la salle. » Il y entend aussi la Traviata, « musique d’enragé, peu de musique, c’est vrai, mais quelque chose d’un homme passionné, ce qui est rare aujourd’hui ; » puis, tout de suite après avoir émis ce jugement qui surprendra un peu ceux qui se rappellent comment il parlait de Verdi sur la fin de sa vie :


Rentrons dans l’art, ajoute-t-il dédaigneusement ; je suis un fervent du Concert populaire. J’ai fait amende honorable à Mendelssohn ; vraiment, pour le bien juger, l’orchestre est indispensable. Dans ce Songe d’une nuit d’été, il est merveilleux de sonorité, il a des effets d’instrumentation superbes, il remplace beaucoup par cela les idées mélodiques.


Mais quel n’est pas son chagrin, on pourrait presque dire son désespoir en entendant très peu applaudir et beaucoup siffler à ce même concert une « superbe symphonie » de Schumann (c’était celle en si bémol, dont Pasdeloup donnait ce jour-là la première audition) !


Les chut ! chut ! m’entraient dans le cœur, écrit-il. Si vous m’aviez vu, madame, moi dans la salle, vous m’auriez reconnu rien qu’à la rougeur de ma figure. J’étais bien malheureux, et pourtant cela m’a fait l’effet du Schumann que Mme Thompson nous joua : même grandeur, même abondance de belles idées, même caractère de cette musique. Je trouve que, là, au milieu de Haydn, Mozart, Beethoven, il se tient par l’originalité de ses idées qui sont bien de lui et c’est, je crois, ce qui explique l’opposition qu’il y a contre lui ; on a horreur du nouveau, cela nous irrite, nous aimons les redites, nous n’aimons pas les opinions autres, les différens caractères. De ce grand artiste, j’ai entendu chez Mme Meurice, par elle et Mme Manet, les Reflets d’Orient à quatre mains ; ce sont, madame, les morceaux que jouèrent vos sœurs. Oh ! que cela est beau ! J’étais transporté, tellement que l’on s’est moqué de moi ; Champfleury m’a appelé Schumanniste, le nom me reste. Eh bien ! j’en suis fier. Mais nous n’avions entendu que trois de ces morceaux, les trois autres aussi sont superbes, il y en a un surtout qui est ravissant, c’est inouï.