Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/384

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la vie ! Est-ce triste pour nous d’être obligés d’aller dehors pour assister à une fête artistique, d’aller chercher du soutien pour notre vie d’artiste, car cela vous fait le plus grand bien, cela rend de l’ardeur. Je ne peux pas exprimer combien je me sens transporté.


Qu’on se rappelle, après avoir lu ces lignes, par quelles plaisanteries furent accueillies en France l’ouverture du théâtre de Bayreuth et les premières représentations de l’Anneau du Niebelung ; qu’on se souvienne en particulier des jugemens cruellement ironiques que portèrent sur cette entreprise et cette œuvre colossales ceux qui faisaient profession chez nous de juger les productions de l’esprit et les créations d’art ; qu’on compare cette ignorance arrogante et têtue aux fraîches impressions d’un artiste qui ressent naïvement les choses sans se targuer de les juger, mais qui exprime avec une chaleur désordonnée ce qu’il a ressenti, et dites de quel côté se trouvent, non pas seulement l’indépendance et la bonne foi avec lesquelles Wagner a toujours demandé qu’on appréciât ses œuvres, mais aussi la clairvoyance et la liberté d’esprit.


IV

Les fêtes de Bayreuth sont terminons. Fantin, après avoir rejoint M. et Mlle Dubourg à Nuremberg, va visiter avec eux les musées de Munich, puis, sans gagner Francfort en raison d’un deuil survenu dans la famille de Scholderer, il rentre à Paris[1]. Tout aussitôt germe et monte dans son cerveau cette abondante moisson, si prompte à lever, de compositions idéales, lithographies d’abord, ensuite pastels et tableaux à l’huile, où les œuvres qu’il aime le plus prennent une nouvelle vie, par lesquelles les maîtres qu’il admire reçoivent un hommage éclatant ; par lesquelles, lui, simple auditeur ou spectateur, la veille, devient poète et créateur à son tour et remercie à sa façon, en les glorifiant, Berlioz, Wagner et Schumann des souveraines jouissances qu’ils lui ont procurées. Quelques mois seulement avant d’aller à Bayreuth, après avoir entendu aux concerts du Châtelet

  1. Moins de trois mois après, le 16 novembre 1876, le mariage de Fantin avec Mlle Victoria Dubourg était célébré, dans l’intimité la plus stricte, en l’église Saint-Thomas d’Aquin. Les témoins étaient, pour Fantin : ses deux grands amis, Edouard Manet et Edmond Maître ; pour Mlle Dubourg : le graveur Henri Valentin et M. Paul Helder.