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une digue les environs de Memphis : un vaste marécage, et, sans le système d’irrigation qui les contient, les canalise et répartit leurs eaux, les crues, bienfaits annuels du grand fleuve, ne feraient sans doute pas vivre la vingtième partie de la population qui pullule et foisonne joyeusement depuis la région des cataractes jusqu’aux dunes du Delta. La vieille description qui montre le Nil débordé, couvrant la plaine de limon et, son œuvre fécondante accomplie, rentrant paisiblement dans son lit pour laisser d’heureux cultivateurs ensemencer une terre ameublie et fertilisée est tout imaginaire. Au moment de fortes crues, les fellahs ont au contraire beaucoup de peine à défendre contre les assauts du flot les digues qui abritent leurs champs. Moins poétique peut-être, la réalité n’en est que plus belle. Le système d’irrigations qui émerveilla Hérodote est aussi ancien que la civilisation égyptienne. Les bassins, les réservoirs et les canaux décrits par le vieux voyageur avaient fait l’Égypte dont ils entretenaient et développaient la vie, ou plutôt ils n’étaient autre chose que l’Égypte elle-même. La situation n’a pas changé, loin de là ; plus que jamais l’Égypte reçoit la vie des ouvrages d’art qui emmagasinent l’eau et la font circuler dans ses terres, tout de même que le sang circule dans nos artères et dans nos veines. Ces ouvrages sont-ils négligés, l’Égypte s’affaiblit et s’appauvrit, son sol se stérilise, des famines répétées déciment sa population. Aussi leur établissement, leur surveillance et leur entretien ne sauraient-ils être évidemment abandonnés à l’initiative individuelle, par la force des choses bornée et égoïste. Sans une direction et un contrôle uniques, il n’y aurait que désordre et confusion. C’est donc le pouvoir central qui doit distribuer l’eau à toute l’Égypte, et l’on peut dire que, nulle part mieux que dans ce pays, la nécessité d’un gouvernement éclairé, prévoyant, économe n’est aussi grande, nulle part les charges imposées par le fisc aux contribuables plus faciles à justifier.

Le problème de l’irrigation, dont je vais dans un instant indiquer les données actuelles, s’est posé de tous temps en Égypte, car ce pays n’a jamais cessé d’être une conquête de l’homme, aidé du Nil, sur le désert. Il y a trois quarts de siècle, ces données se sont toutefois modifiées en même temps que l’agriculture égyptienne se transformait. L’introduction de nouveaux produits, tels que la canne à sucre et le coton, ou plutôt la généralisation de leur culture, imposèrent un nouveau régime des eaux. Entreprise