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grossie de nombreux cours d’eau. A partir de ce point, le grand fleuve ne reçoit plus qu’un seul affluent digne de mention, c’est l’Atbara, rivière torrentielle qui joue un rôle important dans la formation de la crue et dont la source jaillit en Abyssinie. Puis, de Berber à la Méditerranée, le père des eaux traverse 2 700 kilomètres sous le ciel le plus chaud et le plus sec, donnant toujours, ne recevant jamais, cheminant le plus lentement possible comme pour laisser l’homme jouir tout à son aise des richesses qu’il transporte. Sa pente est en effet très faible ; on l’évalue à 8 pour 1 000, de sorte qu’Assouan, située à 86 mètres seulement au-dessus du niveau de la mer, en est éloignée de 1 100 kilomètres. En amont de cette ville, la vallée se relève, il est vrai, assez brusquement en étages rocheux qui forment les six fameuses cataractes et qui se succèdent sur une longueur de 565 kilomètres, avec une hauteur de chute de 200 mètres, mais, plus au Sud, le sol redevient plat et Khartoum, séparée par 3 000 kilomètres de la mer, n’est que de 390 mètres plus élevée qu’elle.

On sait aussi pourquoi le débit du fleuve s’élève chaque année à date fixe de 400 à 9 000 mètres cubes par seconde[1], coulant tranquillement et parcimonieusement durant l’hiver et une partie de l’été, s’enflant et roulant tumultueusement des flots troubles de juillet à novembre. C’est que le Nil Bleu et l’Atbara, ces deux grands torrens, « lui apportent, comme le dit Bossuet[2], les pluies et les neiges » d’Abyssinie.

Si l’Égypte est un don du Nil, c’est un don que l’esprit ingénieux, et les bras infatigables de l’Egyptien ont su faire fructifier. N’était le travail intense et patient des « fellahs, fils de la terre, » la rive du Nil serait vraisemblablement restée ce qu’elle était, à en croire Hérodote, lorsque le roi Mènes devait protéger par

  1. M. Barois, auteur d’un remarquable ouvrage sur les Irrigations en Égypte, a calculé que le Nil charrie au total, en une année moyenne, 94 milliards de mètres cubes dont 60 durant les mois d’août, de septembre et d’octobre. Mais ces calculs ne peuvent être qu’approximatifs, car le débit du Nil varie non seulement de saison en saison, mais d’année en année.
  2. Discours sur l’histoire universelle, III, 3. L’opinion exprimée par Bossuet est très ancienne, Hérodote, II, XXII, la réfute vivement. Elle est pourtant conforme aux dernières observations. « Concluons, dit sir W. Garstin, conseiller aux Travaux publics en Égypte (Report upon the Basin of the Upper Nile, 1904, p. 171) que le Nil blanc ne contribue pratiquement en rien à la crue. Celle-ci dérive entièrement du Nil bleu et de l’Atbara. D’autre part, l’eau qui passe à Assouan au printemps et au début de l’été est due presque entièrement aux grands lacs déchargés par le Nil blanc. » Cf. Some problems of the Upper Nile ; Nineteenth century Review and after p. 345.