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digue qui longe le rivage, de l’autre le talus du plateau des sables. Une prise d’eau, percée en amont dans la digue riveraine et plus ou moins prolongée en canal, sert à remplir le bassin lorsque la crue atteint le point voulu. On ferme la digue dès que l’eau est parvenue à un niveau de 1m, 50, puis, quand cette nappe liquide a fertilisé le sol, on l’évacué dans le fleuve au moyen de déversoirs ménagés en aval du bassin.

Tel est, dans ses grandes lignes, le procédé qui fut tant de siècles seul connu en Égypte et qui y est encore en usage actuellement dans plusieurs régions. La pratique a compliqué ce schéma primitif, de diverses modifications. Voici la plus importante : au moyen d’une digue parallèle, on sectionne la vallée dans les endroits où elle est très large, en deux bassins qui peuvent être de niveaux différens. Autre perfectionnement très ancien : les digues des bassins contigus communiquent de sorte que les bassins se commandent, le déversoir d’un bassin servant de prise au bassin inférieur. Une chaîne de bassins qui, sur la rive gauche du Nil, d’Assouan au Caire, ne mesure pas moins de 900 kilomètres, résulte de cette disposition grâce à laquelle on économise une énorme quantité d’eau en cas de crue insuffisante, tout en obtenant une vidange plus régulière.

La mise en œuvre du procédé, si simple en apparence, qui vient d’être décrit, soulève de grandes difficultés : aussi a-t-elle subi bien des vicissitudes. Dès qu’un despotisme déréglé épuisait l’Égypte ou qu’une anarchie prolongée la laissait retourner à l’état de nature, ce pays devenait la proie des deux fléaux qui le guettent : aridité des terres mal irriguées, pestilence marécageuse des terres mal drainées.

Hérodote[1] nous montre la vallée du Nil barrée par d’immenses digues qui, creusées de canaux sur mille points, reliaient entre eux les archipels des villes innombrables, alors que la crue, régularisée ou, tout au moins, déchargée de son trop-plein par le lac Mœris, transformait l’Égypte en une autre mer Egée. A vrai dire, cette description convient bien mieux à l’Égypte de la belle époque, encore vivante dans l’imagination des prêtres, qu’aux choses réellement observées par l’historien voyageur. Déjà, sous la domination persane, cette organisation avait périclité. Les Lagides et les Romains la restaurèrent. Le Delta et la

  1. Histoire, II, XCVII.