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anciens, et que pour eux, s’adressant aux hommes d’aujourd’hui, ils leur devaient parler le langage d’aujourd’hui. Ils en appelaient des jugemens de l’école aux impressions des spectateurs, et, ne reconnaissant d’autres décisions que celles du public, concluaient que le grand secret est de plaire.

Il est piquant de retrouver toutes ces déclarations, plusieurs fois séculaires, dans la bouche de nos contemporains et sous la plume des plus modernes, entre nos auteurs. Lequel de nos écrivains de théâtre est plus moderne et lequel est plus parisien que M. Alfred Capus ? Il faisait, cet hiver, à la Société des Conférences une causerie ingénieuse, spirituelle. Il vient d’en faire paraître le texte en une brochure qu’il faut lire : Notre époque et le théâtre[1]. M. Capus ne s’est nullement donné pour le porte-parole de ses confrères ; mais il ne saurait déplaire aux confrères de M. Capus que leur cause ait pour représentant celui d’entre eux qui a été le plus constamment favorisé par le succès. Nous nous bornerons d’ailleurs à prendre en eux-mêmes, dans ce qu’ils ont de général et d’impersonnel, les principaux de ses argumens, et d’en tirer la conclusion.

Personne n’a été plus abondamment loué par la presse que M. Capus, et, s’il ne songeait donc qu’à lui seul, il se bornerait sans doute à remercier ses juges. Mais il s’élève au-dessus de ces considérations personnelles, et, prenant les choses d’ensemble, il se plaint que la critique travaille obstinément à humilier et entraver les auteurs. « Aujourd’hui, de toutes parts, on s’applique avec rage à décourager nos dramaturges. Il n’est pas de jour en effet où l’on ne leur annonce la décadence irrémédiable de leur art, où l’on ne décrète que, tous les sujets ayant été traités, tout ayant été dit sur la scène, le public étant las et les artistes étant trop chers, il n’y a par conséquent plus rien à faire au théâtre. » Qui l’eût cru, qu’une époque qui fait tant de cas des comédiens, en fit si peu des auteurs de comédies ? Mais elle s’abstient de mettre ceux-ci, dès maintenant, sur le même rang que leurs plus illustres prédécesseurs, et c’est son crime. « Comme il est universellement admis que l’on n’égalera jamais Corneille, Molière et Racine, et comme tous les Français sont élevés dans cette idée désolante, il est évident que la décadence du théâtre a commencé à la mort de Racine... On a toujours désespéré du théâtre en France, et c’est même à ce désespoir que l’on reconnaît le véritable amateur de spectacle, ainsi qu’un critique digne de ce nom. » M. Capus est réputé

  1. Notre époque et le théâtre, par Alfred Capus (Charpentier et Fasquelle).