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que les auteurs ne parlent jamais de la critique sans une amertume avouée ou secrète,. sans une hostilité ou sourde ou déclarée. Jamais pourtant la critique ne s’était montrée plus accueillante, moins embarrassée de partis pris, et plus indulgente ; et c’est un des traits par où elle diffère de ce qu’elle fut jadis. Elle affectait alors de se montrer sévère et même rogue ; on lui reproche plus souvent, aujourd’hui, de pousser l’indulgence jusqu’à la complaisance, et, par crainte de se montrer exclusive ou inintelligente, de tout admettre et même de tout louer. En tout cas, il est difficile de contester les services éminens qu’elle ne cesse de rendre à la littérature dramatique. Par l’attention intense et soutenue qu’elle lui prête, elle accrédite cette opinion, — et peut-être elle crée cette illusion, — que la production théâtrale est continûment intéressante et que le genre dramatique l’emporte sur tous les autres. Par ses éloges, elle a tiré hors de pair ceux précisément des écrivains qui sont aujourd’hui le plus en vue. Elle a démêlé dans leurs œuvres, signalé et consacré des mérites que peut-être le public se fût borné à sentir confusément ou que peut-être il eût méconnus. Le Cyrano de M. Rostand est tout de suite monté aux nues : c’est sans doute, par sa vertu propre ; mais il ne lui a pas nui d’être porté par l’enthousiasme de certain feuilleton célèbre de M. Emile Faguet. Et quelle dépense d’épithètes pour célébrer la vigueur de celui-ci et l’éloquence de celui-là, l’esprit de l’un ou la pénétration psychologique et le charme, et la grâce et la légèreté des autres ! D’où vient donc le malentendu ? Il est bien difficile, et il serait tout à fait déplaisant, d’admettre que cette animosité collective des auteurs contre la critique s’expliquât par telles intimes rancunes et souffrances d’amour-propre blessé. Il faut qu’il y ait à ce dissentiment une raison profonde et qu’il provienne de quelque différence essentielle de point de vue. C’est ce qu’il nous parait intéressant de rechercher ici et de tenter tout au moins de définir.

Car la querelle ne date pas d’hier, non plus qu’elle n’a chance de se terminer demain. Elle emplit toute l’histoire de la littérature, et, pour ne pas remonter plus haut, toute celle de notre littérature classique. Nos dramatistes du XVIIe et du XVIIIe siècle se plaignaient déjà des mauvaises chicanes que leur cherchaient les critiques de leur temps. . Ils les accusaient de ne tant admirer les anciens qu’afin de les écraser eux-mêmes sous la comparaison, et de mieux dénigrer les modernes. Ils s’insurgeaient contre de prétendues règles qui n’ont été inventées que pour gêner les auteurs et les empêcher d’être originaux, entreprenans, hardis, novateurs. Ils proclamaient que les anciens sont les