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yeux. Mais il n’y a pas non plus trace de comique dans Amoureuse de M. de Porto-Riche et dans la Robe Rouge de M. Brieux ; il n’y en a pas davantage dans En paix de M. Bruyerre et dans la Conscience de l’enfant de M. Dévore. » Le même mouvement s’opère dans les autres genres, où nous voyons des élémens mal fondus se dissocier et reprendre leur indépendance. Les pièces à thèse de M. Brieux sont de plus en plus des thèses sans pièce. Les pièces d’allure fantaisiste cessent de se rattacher par aucun lien à la réalité, et les pièces bouffonnes ont éliminé le grain d’observation morale que, du temps de Labiche, on appelait, — sans rire, — une « philosophie. » Le vaudeville ne prétend plus à nous enseigner la vertu, ni le mélodrame à nous enseigner l’histoire. Ainsi chaque genre tend à revenir à son principe, à se conformer à sa définition, à rentrer dans ses limites et à s’y enfermer.

On voit à quoi se réduit la fameuse anarchie du théâtre contemporain et combien, à la scène, les innovations sont peu synonymes des révolutions. Il en est presque toujours ainsi. L’auteur qui, abordant le théâtre, croirait n’y relever que de sa propre fantaisie, serait dupe d’une singulière illusion. C’est ce que la critique ne cesse de lui rappeler. Elle l’aide ainsi à être original, car l’originalité ne consiste pas à ne dépendre de rien ni de personne, mais à suivre consciemment, au point de se les approprier, ou à combattre volontairement, au point de les faire dévier, les courans généraux.

Plus grave encore est entre auteurs et critiques le dissentiment qui concerne la façon dont l’auteur doit diriger son observation et la nature des sujets qu’il doit mettre à la scène. Une idée chère à M. Capus est que jamais époque n’a été plus difficile à observer et à peindre que la nôtre, parce que les changemens y sont trop rapides et qu’elle est trop diverse. « Il y a de moins en moins de traits communs entre les individus appartenant au même groupe social, ayant à peu près la même fortune et les mêmes relations, menant des existences analogues... Rien n’était plus commode pour l’action dramatique que d’avoir d’avance à sa disposition et avec le consentement du spectateur les lignes générales du bourgeois, du militaire, de l’aristocrate, de l’homme d’argent, ou de la grande dame, de la courtisane, de la femme honnête, de l’ouvrière, de la jeune fille. » Ces assertions étonnent. L’ancienne société, dans la solidité de ses cadres, était beaucoup plus que la nôtre respectueuse de l’individu. L’originalité pouvait s’y développer tout à l’aise. Les Mémoires nous présentent à chaque instant des exemples de natures fortement trempées, de