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caractères hors du commun, d’existences extraordinaires et dont on trouverait difficilement l’analogue dans notre temps ; c’est notre époque qui a supprimé les différences, nivelé, uniformisé, banalisé. Si nous n’apercevons plus aujourd’hui que les traits généraux, c’est qu’à distance eux seuls subsistent, et que les nuances disparaissent : pure illusion ou simple effet d’optique. C’est à l’Ambigu qu’on s’écrie : « Nous autres gens du moyen âge ! » et qu’entre gens du moyen âge, tout le monde se ressemble. Au temps de saint Louis ou de Louis XIV, comme en notre temps, on était frappé, d’une génération à l’autre, de se trouver si dissemblables. Surtout cette simplification est l’œuvre de la littérature. Jamais personne au monde n’a rencontré dans la société le bourgeois, ni le militaire, ni l’aristocrate : c’est la littérature qui a créé ces types, en s’efforçant de découvrir ce qu’il y a, entre les individus, de général, et, sous la réalité, de permanent.

La conclusion à laquelle M. Capus veut aboutir est que, la comédie ayant épuisé les grands caractères de l’humanité, elle doit traduire uniquement les nuances les plus récentes de notre sensibilité et les dernières nouveautés de notre vie sociale. « L’auteur dramatique semble n’avoir plus d’autres ressources, d’autre matière que les passions, les faits et les états d’esprit exactement contemporains. Et, en effet, il n’y a plus que cela, il faut le dire. » Donc l’actualité et encore l’actualité ! Cherchez-la et tenez-vous-y ! Il n’est pas de conseil plus dangereux. Sous prétexte de mettre en scène des personnages, des mœurs, et des sentimens qui soient bien d’aujourd’hui, on en met qui ne sont d’aucun temps, étant de pure fantaisie. Pour être plus sûr d’éviter le déjà vu, on tombe dans le rare, dans l’exceptionnel, dans l’excentrique et dans l’extravagant. Et toute l’histoire du théâtre est là pour attester que les pièces où n’a passé que le reflet de l’actualité n’ont pas duré. L’actualité ne prend de signification, et, pour ainsi dire, de consistance, que si l’on sait la rattacher à ce qui a précédé, et faire deviner, à travers ses expressions éternellement mobiles, l’éternel visage humain. Au lieu de le confiner dans la reproduction de ce qui est « exactement contemporain, » la critique invite donc l’écrivain de théâtre à regarder plus loin, plus avant, plus profondément, et à dépasser cette surface changeante, mince, légère et futile.

Pourquoi, d’ailleurs, l’auteur dramatique est-il si empressé à courir après l’actualité ? C’est qu’il sait combien le public aime à en éprouver le frisson. Nous touchons ici au point essentiel du débat. L’auteur dramatique en effet a une tendance à se tenir pour satisfait, s’il a enlevé