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qui l’on avait songé pour faire de lui l’aumônier de la Reine, s’en allait désormais, à la voix de Wiseman, dans le quartier déshérité de Bayswater, fonder une communauté d’Oblats de Saint-Charles, pauvres parmi les pauvres.

Car les missions dans les faubourgs indigens étaient la première préoccupation de Wiseman. Il arrivait, parfois, que certaines congrégations qu’il chargeait de cette besogne excipaient d’empêchemens provenant de leurs règles particulières. « Presque toutes les communautés religieuses, ripostait Wiseman avec quelque tristesse, sollicitent sans cesse des dispenses, les unes pour le jeûne et l’abstinence, les autres pour le chœur, toutes pour l’habit, et si on leur demande : Pourquoi ces exemptions ? elles vous répondent : Ce sont les circonstances locales qui les exigent. Mais qui donc songe à recourir au même pouvoir dispensateur, pour faire lever des restrictions qui empêchent de faire le bien de la manière que le pays réclame ? » A peine réinstallée, la hiérarchie catholique anglaise se préoccupait des besoins populaires pour y répondre, des désirs populaires pour les prévenir.

Wiseman préparait le terrain pour Manning. « Pendant plus de cinquante ans, disait celui-ci en 1890, j’ai vécu au milieu du peuple, dix-sept ans parmi les laboureurs et les bergers du Sussex, et dix-neuf ans au milieu du peuple de Londres. J’ai vu, entendu et connu leurs besoins, leurs souffrances, leurs misères, l’échec de leurs réclamations et de leurs espérances, et toute mon âme est avec eux. » Ainsi se définissait, sous l’éclat de la pourpre romaine, Henry Edward Manning, archevêque de Westminster. Il était advenu, pour lui, le même phénomène que pour Ruskin : la Bible l’avait fait sociologue[1]. « Moïse m’a rendu radical, » expliquait-il plaisamment. Manning, comme Ruskin, avait médité les imprécations sans nombre par lesquelles l’Ancien Testament crie vengeance contre le riche pour l’accablement du pauvre ; et, dans son imagination, ces souvenirs bouillonnaient encore, lorsqu’il fut appelé, dans un vaste diocèse, à la royauté des âmes.


Arriver à accomplir un peu de simple justice chrétienne, avec une sincère parole ou action anglaise, faire de la loi chrétienne une règle de vie, et fonder sur elle une réforme sociale ou un désir de réforme, nous savons

  1. Voyez H.-J. Brunhes, Ruskin et la Bible. Paris, Perrin, 1902.