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Trop bien ce que vaut notre foi pour cela ! Vous pourriez plutôt extraire un éclair de la fumée de l’encens qu’une vraie action ou passion de votre moderne religion anglaise[1].


Ainsi parlait Ruskin, en 1864, dans sa conférence des Trésors des rois ; il semblait demander compte à l’anglicanisme de sa stérilité. Mais l’action sociale de Manning allait réhabiliter, aux yeux de l’univers, l’esprit religieux de l’Angleterre. « Dieu veuille, écrivait l’archevêque catholique de Westminster, que le peuple ne nous regarde jamais, nous catholiques, comme des tories, appartenant au parti qui fait obstacle à l’amélioration de sa condition ! Dieu veuille que nous ne paraissions pas les serviteurs de la ploutocratie, au lieu d’être les guides et les protecteurs des pauvres ! »

Dieu veuille ! disait Manning. Et Dieu voulut, parce que Manning, son serviteur, voulut. Les catholiques cessèrent d’apparaître comme des tories, ou comme des serviteurs de la ploutocratie, en ce jour de 1889 où un vieillard de quatre-vingt-deux ans s’en fut, pendant cinq longues heures, haranguer le comité de la grève des dockers, et fit accepter par ces mineurs la transaction qui terminait la grève : « Si vous refusez, leur disait-il audacieusement, j’irai moi-même haranguer la foule des grévistes : 25 000 d’entre eux sont mes fils spirituels ; ils m’écouteront. » Manning avait assez aimé le peuple pour être sûr de l’audience du peuple. « Mon radicalisme, déclarait-il, plonge jusqu’aux racines de ses souffrances. » Autant jadis il avait aimé l’élégance distante du clergyman anglican et redouté, peut-être, le contact un peu fruste des pauvres prêtres catholiques, autant, avec l’âge, Manning s’était fait peuple. « L’époque qui vient, écrivait-il en 1891 au comte Albert de Mun, appartiendra, non aux capitalistes ni à la bourgeoisie, mais au peuple… La vraie demeure de l’Eglise est chez le peuple. » Manning escomptait le siècle futur : s’adressant à des fidèles dont les grands-pères semblaient gênés par leur propre catholicisme comme on l’est par un anachronisme, Manning, au contraire, leur ouvrait et leur livrait l’avenir. Il émettait, avant l’heure, dans son livre : De la dignité et des droits du travail, certaines thèses que l’école de Manchester pouvait à juste titre réputer des affronts, la thèse,

  1. Ruskin, Sésame et les lys, trad. Marcel Proust, p. 144. (Paris, librairie du Mercure de France, 1906.)