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l’époque de pleine et brillante maturité ? Quoi qu’il en soit, on a longtemps eu l’habitude, — et on ne l’a point encore complètement perdue, — de négliger les périodes dites « de décadence. » De leur infériorité esthétique, réelle le plus souvent, un sophisme a fait conclure à leur insignifiance historique. Au milieu du XIXe siècle, combien d’excellens traités sur la littérature grecque, — ceux de Otfried Millier et de Bernhardy par exemple, — s’arrêtaient… à Démosthène, comme si la vie et la pensée helléniques eussent été coupées radicalement à la chute de l’indépendance athénienne ! Progressivement, lentement, ces limites trop étroites ont été reculées par l’annexion des Alexandrins, puis des auteurs gréco-romains ; mais on commence à peine à s’apercevoir que, durant les neuf ou dix siècles de l’empire byzantin, il y a eu des hommes, des hommes qui ont réfléchi, senti et écrit, et qu’on ne peut pas faire comme s’ils n’existaient pas. Il n’en va pas autrement pour la littérature romaine. Si l’on ne professe pas que tout ce qui est postérieur au siècle d’Auguste ne compte pas (et encore l’a-t-on quelquefois prétendu), si l’on veut bien admettre que Sénèque et Tacite, Lucain et Juvénal, sans être aussi parfaits que les grands classiques, sont aussi intéressans et plus vivans peut-être, les critiques les plus libéraux ont longtemps hésité à dépasser le seuil du IIe siècle. Ce n’est guère que dans ces dernières années que les beaux travaux de MM. Monceaux et Guignebert sur Tertullien, de M. Thamin sur saint Ambroise, de M. Puech sur Prudence, et surtout les fines, délicates et pénétrantes études de M. Gaston Boissier sur la fin du paganisme, ont fait sortir d’un injuste oubli les œuvres latines les plus récentes. Encore la victoire n’est-elle pas complète : je n’en veux pour preuve que ce petit fait de statistique. La philologie allemande a l’utile habitude de drosser à intervalles périodiques le bilan du travail accompli sur chaque point du domaine littéraire. Or, parmi ces rapports récapitulatifs, depuis une vingtaine d’années, six ou sept seulement ont été consacrés à la « basse latinité, » c’est-à-dire à toute la période postérieure aux Antonins[1]. Horace, à lui seul, atteint le même chiffre dans le même laps de temps. Ainsi des poètes comme Prudence et Claudien, des historiens comme Ammien Marcellin et Paul Orose, des penseurs comme Tertullien, saint Ambroise et saint Augustin,

  1. Voir les Jahresberichte de Bursian et Müller.