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certain temps pour être complète et intime : il me semble qu’on en a quelquefois exagéré la rapidité, parce que l’on confond deux choses distinctes, les aspirations politiques et les habitudes de la vie quotidienne. — Assurément les Gaulois sont devenus de très bonne heure, et de très bon cœur, de fidèles sujets de Rome. Dix ans de guerre, puis, sous le règne d’Auguste, quelques expéditions sans importance, ont suffi pour détruire toute velléité de rébellion. Dès lors, il pourra bien y avoir des conspirations individuelles comme celles de Florus et de Sacrovir, de Sabinus, Glassicus et Tutor[1], des séditions militaires comme celle de Vindex, des « jacqueries » comme celle des Bagaudes, mais ni les unes ni les autres n’auront un caractère national. L’historien Dion Cassius n’exagère pas lorsqu’il fait dire à Antoine, au lendemain de la mort de César, que la Gaule est maintenant aussi soumise et aussi florissante que l’Italie[2], et l’empereur Claude n’emploie pas une vaine formule quand il résume ainsi l’histoire des Gaulois dans leurs relations avec Rome : dix ans de lutte, puis un siècle d’inébranlable obéissance, même à travers les circonstances les plus critiques[3]. Les faits confirment ces témoignages : ainsi, moins de vingt ans après la fondation de Cologne chez les Ubiens, cette peuplade pourtant belliqueuse et remuante est si bien désarmée qu’elle refuse de s’associer à la rébellion de ses voisins[4]. Et enfin, ce qui prouve qu’il ne s’agit pas seulement d’une résignation passive, mais d’une adhésion spontanée, c’est l’empressement que mettent les vaincus à accepter, à solliciter même le droit de cité, ou à défaut le droit latin, ou à défaut le titre d’« alliés du peuple romain, » bref à revêtir le plus qu’ils peuvent la nationalité romaine. — Tout cela

  1. On a quelquefois présenté la révolte de Sabinus, Classicus et Tutor comme un soulèvement national, mais cette hypothèse tombe devant les faits suivans : Sabinus attaquait si peu la domination romaine qu’il se prétendait issu du conquérant Jules César ; Classicus portait le costume de général romain ; Civilis même, Germain d’origine cependant, songeait à une alliance avec le chef des légions Cerealis. En tout cas, il n’y eut que 4 tribus gauloises qui se soulevèrent sur 64, et toutes les quatre étaient de la zone frontière, presque autant germaniques que gauloises.
  2. Dion Cassius, XLIV, 42 : Καὶ νῦν δεδούλωται μὲν Γαλατία ἡ τούς τε Αμϐρωνας ϰαὶ τούς Κίμϐρους ἐφ’ ἡμᾶς ἀποστείλασα ϰαὶ γεωργεῖται πᾶσα ὥσπερ αὐτὴ ἡ Ἰταλία.
  3. Discours de Claude (Tables de Lyon) : « Si quis hoc intuetur quod bello per decem annos exercuerunt diuum Iulium, idem opponat centum annorum immobilem fidem obsequiumque multis trepidis rebus nostris plus quam expertum. » — Tacite, Annales, XI, 24 : « Si cuncta, bella recenseas, nullum breuiore spatio quam adversus Gallos confectum : continua inde ac fida pax. »
  4. Tacite, Histoiers, IV, 65.