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est vrai, mais autre chose est de se plier aux lois d’une nation victorieuse, autre chose est d’en prendre les mœurs. Même quand on le désire, on réussit moins vite à changer son caractère que sa condition politique. Les documens officiels nous font connaître la situation légale de la population gauloise : son âme nous échappe en partie, et, si nous la connaissions mieux, peut-être trouverions-nous que, sans répugnance de parti pris, mais par la seule force des choses, elle s’est plus lentement transformée qu’on n’est porté à le croire.

En voici quelques indices. Strabon dit que les Romains interdirent aux Gaulois de porter des crânes humains suspendus au cou de leurs chevaux et d’immoler des hommes à leurs divinités : c’est donc que d’eux-mêmes ils n’auraient pas renoncé à ces habitudes sanglantes[1]. Claude, pourtant si favorable aux Gaulois, celui qui leur ouvrit les portes du Sénat et qu’on accusait ironiquement « d’avoir conquis Rome comme un franc Gaulois qu’il était[2], » Claude fut obligé d’exercer des mesures de rigueur contre les cruelles pratiques du druidisme[3]. Voilà pour les mœurs ; quant à la culture intellectuelle, sans doute Martial[4] et Pline le Jeune[5] se félicitent d’avoir trouvé en Gaule des lecteurs pour leurs ouvrages ; mais, dans leur joie même, il entre un peu d’étonnement, comme si ce pays leur semblait encore à demi barbare, et bien peu fait pour goûter les productions littéraires de Rome. Encore ne parlent-ils que de colonies romaines, de Vienne ou de Lyon ; mais ailleurs, le même Martial traite de lourdauds, crassi, les habitans de Bordeaux[6], qui cependant seront au premier rang de la littérature gallo-romaine quand il y en aura une. A la vérité, il ne faut pas grossir outre mesure

  1. Strabon, IV, 4, 6 : Καὶ τούτων ἔπαυσαν αὐτοὺς Ῥωμαῖοι.
  2. Sénèque, Apocol., 6 : « Ad sextum decimum lapidem natus est a Vienna : Gallus germanus. Itaque, quod Gallum facere oportebat, Romain cepit. »
  3. Suétone, Claude, 25 : « Druidarum religionem apud Gallos, dirae immanitatis et tantum ciuibus sub Augusto interdictam, penitus aboleuit. »
  4. Martial, Epigr., VII, 88 :

    Fertur habere meos, si uera est fama, libellos
            Inter delicias pulchra Vienna suas…
    Hoc ego maluerim quam si mea carmina cautent
            Qui Nilum ex ipso protinus ore bibunt
    Quam meus hispano si me Tagus impleat auro
            Pascat et Hybla meas, pascat Hymettos apes.

    Comp. Epigr., VIII, 72 (sur Narbonne).

  5. Pline le Jeune, Episl., IX, 11 : « Bibliopolas Lugduni esse non putabam, ac tanto libentius ex litteris tuis cognoui uenditari libellos meos. »
  6. Martial, Epigr., IX, 32.