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l’importance de ces petits faits ; il ne faut pas oublier qu’il en est d’autres qui nous montrent la Gaule initiée largement aux mœurs de ses vainqueurs. En réalité, il a dû y avoir, depuis César jusqu’à Constantin, une pénétration graduelle.

La civilisation latine avait, pour se propager dans les pays conquis, deux moyens principaux : les colonies et les écoles. Or les colonies, images ou prolongemens de la cité romaine en terre étrangère, étaient assez peu nombreuses dans la Gaule. Surtout, elles lui étaient comme extérieures : la plupart se trouvaient ou bien dans la Narbonnaise, région depuis longtemps soumise, que les anciens distinguaient du reste de la Gaule[1], ou bien dans la Belgique, dans le pays limitrophe de la Germanie, où elles surveillaient le Jura et le Rhin. Fréjus, Arles et Aix, Narbonne, Béziers et Nîmes, Orange, Valence et Vienne d’une part, de l’autre Lyon, Besançon, Langres, Trêves, Cologne, bordaient en quelque sorte le pays gaulois sans l’entamer[2]. A l’intérieur, il n’y avait presque que des villes indigènes, qui sans doute reçurent aussi la culture romaine, mais plus tard, et pour ainsi dire indirectement. — Quant aux écoles, si puissantes pour répandre dans les provinces la langue, les idées, les croyances, les sentimens, en un mot le tour d’esprit de la capitale, elles ne furent pas non plus tout d’abord très multipliées chez les Gaulois[3]. Dans les premiers siècles de la domination romaine, il n’y en avait guère que deux qui fussent vraiment importantes, celle de Marseille et celle d’Autun. Encore celle de Marseille, fidèle à ses origines phocéennes, enseignait surtout la philosophie grecque, l’éloquence grecque, la médecine grecque : les grands noms y étaient Homère et Platon, non Cicéron et Virgile ; elle faisait plutôt

  1. La Narbonnaise ou vallée inférieure du Rhône avait été réduite en province romaine soixante ans environ avant que César ne mît le pied en Gaule. Elle resta toujours distincte administrativement de ce qu’on appelait les « trois Gaules, » et, par exemple, n’envoya jamais de délégués au conseil fédéral de Lyon.
  2. C’est également dans les mêmes régions que se trouvaient cantonnées les légions, qui étaient, elles aussi, des centres d’influence romaine très actifs. Enfin, cette répartition géographique est encore celle des Augustales, ces prêtres de l’empereur pris dans la plèbe des cités, qui étaient peut-être les sujets les plus dévoués à Rome : ils paraissent avoir été nombreux surtout dans la Narbonnaise et la Belgique, plus rares partout ailleurs.
  3. Strabon, IV, I, 5, semble dire le contraire quand il parle des professeurs appelés et payés par les États ou les particuliers gaulois. Mais son témoignage paraît se rapporter surtout à la région qui avoisine Marseille. Il faudrait aussi distinguer entre les maîtres élémentaires, litteratores, qui ont dû être nombreux, et les grammairiens et les rhéteurs.