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exercent dans les Gaules, où ils habitent souvent, une véritable vice-royauté. Plus tard, lors de l’anarchie militaire, quand le pouvoir central n’est plus assez fort pour assurer la sécurité des frontières, la Gaule se crée un empire romain pour elle : Postume, Laelianus, Victorin, Marius, Tetricus, continuent dans les limites du territoire gaulois l’œuvre d’administration et de défense romaine que les empereurs de Rome ont laissée péricliter et à laquelle leurs concitoyens tiennent passionnément[1]. Et ensuite, lorsque l’ordre est rétabli, les Gaulois se groupent volontiers autour de l’autorité légitime, pourvu qu’un des princes en qui elle s’incarne réside parmi eux : Constance Chlore pendant presque toute sa vie, Constantin et Julien pendant leur jeunesse, Valentinien, Gratien, Honorais, tous ces empereurs qui prennent pour capitales Trêves, Lutèce ou Arles, qui s’appuient sur les Gaulois comme sur leurs plus fermes soutiens contre le péril Barbare, qui s’entourent de généraux gaulois, de conseillers ou de rhéteurs gaulois, appartiennent bien plus à la Gaule qu’à Rome. À ce moment-là, il y a vraiment un État gallo-romain, et du même coup se développe une littérature gallo-romaine.

Nous n’avons plus affaire désormais à ces rhéteurs et à ces poètes qui, nés par hasard à Narbonne, à Nîmes ou à Marseille, n’avaient rien de plus pressé que d’aller briller dans les cercles littéraires de Rome : la littérature du ive siècle est gauloise d’intention autant que de fait. Quelles sont les occasions qui ont produit la plupart des Panégyriques ? tantôt c’est la fête d’un souverain particulièrement aimé des Gaulois, Constance Chlore ou Constantin ; tantôt le rétablissement de l’école d’Autun, cette citadelle intellectuelle du monde gaulois ; tantôt une victoire de Constantin sur Maxence, remportée avec l’aide des troupes gauloises ; tantôt une exemption d’impôts accordée à une ville de Gaule ; toujours des faits qui intéressent plus ou moins forcément la vie locale. De même, quelle est la matière de la

  1. C’est bien d’un Empire romain qu’il s’agit et non d’un État barbare. Postume, par exemple, s’intitule auguste, grand pontife, consul, revêtu de la puissance tribunicienne. Lui et ses successeurs combattent contre les Germains. Ils remplacent plutôt l’empereur de Rome empêché qu’ils ne se dressent contre lui, ils sont, comme le dit un historien postérieur, « les soutiens de la puissance romaine. » (Trebellius Pollio, Trig. Tyr., V, 5 : « Adsertores romani nominis exstiterunt. Quos omnes datos diuinitus credo ne, cum illa pestis inauditae luxuriae impediretur malis, possidendi romanum solum Germanis daretur facilitas. Qui si eo génère non euasissent,… uenerabile hoc romani nominis finitum esset imperium. »