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poésie d’Ausone, j’entends dans la mesure où elle n’est pas un simple exercice de mnémotechnie érudite ? c’est l’histoire de ses parens, Eduens ou Aquitains ; c’est l’éloge de ses professeurs de Bordeaux, la description de son domaine de Saintonge, celle des rives de la Moselle, bref les hommes et les choses de la Gaule, célébrés avec une franche et cordiale sympathie. De même encore, lorsque Sulpice Sévère exalte avec tant d’ardeur les miracles de saint Martin, il me semble qu’à son admiration personnelle pour son héros se mêle un peu de patriotisme régional : il établit une comparaison entre l’évêque de Tours et les solitaires de la Thébaïde, et dans cette lutte de piété ascétique et de puissance surnaturelle, il ne lui déplaît pas que le champion de la Gaule ait le dessus[1]. C’est ainsi que tous ces écrivains du IVe siècle ont la conscience et le sentiment de leur pays, et cette tendance est peut-être ce qui donne à leurs écrits le plus de ressemblance mutuelle comme le plus de vie réelle et ; concrète.

D’autres causes historiques ont concouru aussi à favoriser le développement de la littérature gallo-romaine au ive siècle, et parmi elles l’effort assidu des empereurs pour rendre plus florissante la situation des écoles. Elles avaient bien besoin de cette protection. Elles avaient beaucoup souffert durant cette époque de troubles et de violences qu’avait été le ni° siècle : des guerres civiles entre les divers candidats à l’Empire[2], quatre grandes invasions de Francs et d’Alamans[3] des destructions comme celle de la ville d’Avenches et du temple de Mercure Arverne[4], des sièges comme ceux de Tours et d’Autun[5], des soulèvemens de paysans, des brigandages devenus endémiques, tout cela constituait un milieu peu propice à la vie intellectuelle. La ville d’Autun, la capitale universitaire de la Gaule, avait vu ses écoles saccagées avec ses autres monumens. Les empereurs du ive siècle s’émurent de cette situation et voulurent y

  1. Sulpice Sévère, Dial., I, 24-26.
  2. Par exemple entre Septime Sévère et Albinus en 197 (c’est dans cette guerre que fut incendiée la ville de Lyon), entré Postume et les lieutenans de Gallien en 205, entre Postunie et Laelianus en 267, entre Tetricus et Claude 11 en 269, entre Tetricus et Aurélien en 273.
  3. Sous Caracalla en 213, sous Alexandre Sévère en 235, sous Gallien en 257, sous Aurélien en 275.
  4. Lors de l’invasion de 257.
  5. Tours fut assiégée par les Francs en 957. Antun par les soldats de Tetricus en 269.