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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/596

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À mesure que la main-d’œuvre devenait plus abondante par l’immigration, — alors encouragée, — et que la concurrence des entreprises réduisait la marge des bénéfices, le taux des salaires devait baisser. En 1886, époque à laquelle on peut fixer le commencement des difficultés sérieuses entre employeurs et employés, l’ouvrier de capacité moyenne n’était plus payé que 12 à 14 francs par jour. C’est un taux encore convenable dans un pays où il ne gèle jamais et où les nécessités premières de la vie sont peu coûteuses. Mais certaines habitudes étaient prises, que les travailleurs manuels ne voulaient pas abandonner : habitudes de confort, de distractions, et même de luxe. Depuis plusieurs années, les Unions ouvrières s’étaient organisées, prévoyant la lutte. Elle s’engagea et aboutit à de formidables grèves. Celles-ci amenèrent des troubles qui furent sévèrement réprimés (1890-1892). L’action violente n’avait pas les sympathies de l’opinion publique. Il ne restait donc aux syndicats qu’à tenter de conquérir l’influence politique. Offrir ses services, puis les imposer, tel fut en deux mots le programme initial du labour party. Les Unions suivirent ce programme avec une patience obstinée, et c’est ainsi qu’elles acquirent une autorité voisine, à certaines heures, de la dictature.

Si ces circonstances n’ont pas seules déterminé l’éclosion du mouvement socialiste en Australie, elles l’ont certainement hâtée. Leur souvenir l’encourage encore aujourd’hui en entretenant dans l’esprit populaire des illusions sur les véritables conditions économiques du pays. Ainsi se trouve expliqué pourquoi le parti socialiste australien, négligeant les questions d’organisation générale et de gouvernement, ne s’est engagé, à ses débuts, que sur celles des salaires et des conditions du travail ; et comment le collectivisme où il tend aujourd’hui, fut d’abord pour lui « terre inconnue. » Il la voit maintenant parce qu’il s’en est rapproché : il sait qu’il y va, il le reconnaît, mais ne le savait pas quand il s’est mis en route. C’est sans enthousiasme qu’il considère le but de son voyage et il n’est pas pressé d’arriver.

L’expérience des dernières années permet de discerner dans la marche du parti qui remorque le Parlement et la nation, trois mouvemens dont les départs ont été successifs et les actions parallèles. Le premier, dirigé contre le principe de la concurrence, et déjà très avancé ; le second, contre celui de la liberté individuelle, n’ayant encore gagné que ce qui était nécessaire