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combat ; mais elle y apparaît plus immatérielle et, si l’on peut dire, plus idéale. Elle y rayonne aussi davantage ; elle prolonge en quelque sorte l’un et l’autre drame et les projette à l’infini dans un double mystère : le Freischütz, dans celui de la nature et Tannhäuser dans celui de la foi.

La musique de l’opéra français ne porte et ne nous emporte guère aussi loin. Pour en résumer le caractère, il semble qu’on pourrait dire ceci : le drame et les personnages existent, vivent par elle, plus qu’ils ne représentent et ne signifient ; elle les anime et les remplit, elle ne les dépasse et ne les déborde pas.


IV

Mais elle les remplit, mais ils vivent, et cette vie, en sa plénitude, suffit à l’honneur du genre que nous étudions.

S’il est une qualité proprement dramatique et qu’on ne puisse refuser à la musique de l’opéra français, c’est le mouvement. La Muette elle-même ne languit ni ne traîne jamais. Au contraire elle est comme emportée en un perpétuel tourbillon. Elle l’est tout de suite, et le début au moins de l’ouverture offre, au plus haut degré, le caractère pathétique. Il le doit au mode mineur, qui corrige ce que le rythme pourrait avoir de trop léger et de sautillant, à certaine descente chromatique, et surtout à l’éclat initial, à ce premier coup frappé soudain sur un accord de septième diminuée, et que, depuis l’attaque de l’ouverture de Don Juan peut-être, on n’avait plus ressenti.

Faut-il rappeler de quelle allure marche et se précipite une scène, une série de scènes plutôt, comme le finale de la conjuration dans Guillaume Tell ; comme le cinquième acte de Robert le Diable, le premier de l’Africaine ou le quatrième ; comme l’acte de la cathédrale dans le Prophète, ou, dans les Huguenots enfin, la Bénédiction des poignards et le duo qui lui succède, mais qu’elle n’écrase point. C’est un chef-d’œuvre dramatique, par la concision et le raccourci, que le dernier acte de la Juive. Il est fait de récitatifs, de touches sobres et de justes accens. Pas un air et par un morceau. A peine quelques mesures de chœur ; deux ou trois mouvemens de compassion ou de fureur populaire. Tout est bref ici ; tout y est fort. Non, pas tout, et le personnage de Rachel au contraire s’y montre admirable, çà et là, de