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V

Elle y arrive plus d’une fois, à cette généralité, par des moyens proprement musicaux. On éprouve quelque scrupule à le dire, la chose allant, semble-t-il, de soi-même, et cependant il le faut, le contraire ne se disant que trop aujourd’hui : si le grand opéra français n’est pas comme l’opéra de Mozart, voire celui de Gluck, un des chefs-d’œuvre de la musique, la musique y a pourtant sa part.

Grand musicien dramatique, le Rossini de Guillaume Tell est, de tous les maîtres de notre opéra, le plus purement musicien, ou le musicien le plus pur. Dans l’ordre de la beauté rien que sonore, je ne sais trop ce que non seulement la Muette ou la Juive, mais les Huguenots ou le Prophète, pourraient offrir d’égal aux deux premiers actes du chef-d’œuvre de Rossini.

Pourtant, jusque dans cet ordre supérieur, quelques pages de l’opéra d’Halévy, de l’opéra d’Auber, sont dignes, — et l’on peut croire assurées, — de ne jamais périr. Malgré le thème central, majeur et vulgaire qui la dépare, l’ouverture de la Muette est musicale autant que dramatique. La fameuse Prière est d’un excellent style polyphonique et, pour le sentiment religieux, très supérieur au moderne « répertoire » de nos églises. C’est une admirable mélodie, annoncée par un récitatif admirable, que l’air du sommeil, ce chant si pur, qui s’élève d’abord, comme plus d’une phrase illustre, sur les degrés de l’accord parfait majeur, pour descendre ensuite, pour défaillir et tomber lui-même, sur la modulation mineure qui donne tant de tristesse et de tendresse à ces mots : « Les larmes qui tombent encore de ses yeux. »

Belle page aussi de musique, la Pâque de la Juive. Belle, premièrement par la rectitude et presque par la rigueur des lignes, par la couleur tonale, par l’originalité de la coupe et du rythme ; belle ensuite, et d’une autre manière, quand la psalmodie se détend et s’entr’ouvre, et que, sortant comme une fleur mélodique, des versets et des répons austères, la cantilène d’Éléazar monte et s’épanouit. Enfin le fameux air : « Il va venir : » n’est pas seulement dramatique ; mêlé de mélodie, de déclamation et d’orchestre, il est trois fois musical. Symétrique et cependant libre, entrecoupé de vides, ou de « lances, il développe entre ses