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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/648

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« Grand opéra français. » En vérité, je n’en vois pas un autre qui plus que les Huguenots soit digne de ce nom. Cette musique est à nous, elle est nôtre par la finesse autant que par la puissance. Elle touche en nous les fibres les plus sensibles et les cordes les plus délicates. Autant que les grands faits de notre histoire, elle évoque nos horizons familiers : ceux de notre Paris, au troisième acte, et, dans les deux premiers, ceux d’une de nos plus aimables, de nos plus françaises campagnes. « O beau pays de la Touraine ! » Rien que cet hommage féminin et royal, avec ses quatre notes et son accompagnement léger, parmi les fluidités de l’orchestre, est quelque chose de délicieux. Et je ne saurais entendre le début du récit de Raoul : « Non loin des vieilles tours et des remparts d’Amboise, » cette intonation mineure et cet accent de mélancolie, et ce nom qui s’élève et fait silhouette au-dessus d’accords qui tremblent comme les vapeurs du matin, sans que tout cela rende l’aspect, et j’allais dire le visage même de notre douce France, un peu plus présent à ma vue, un peu plus cher à mon cœur.

Voilà de la géographie encore et voilà de l’histoire. On a contesté souvent à la musique le don de pareilles évocations. Comment, ont demandé ceux qui ne la comprennent ni ne la sentent, comment pourrait-elle figurer une époque, un pays ? — Comment, demanderons-nous à notre tour, comment ne le pourrait-elle pas, et pourquoi ? Pourquoi l’esprit des temps passés et des contrées diverses n’habiterait-il point en elle ? Sans doute elle ne l’exprimera pas toute seule, et la parole, et le décor seront là pour l’y aider. — Alors c’est le décor qui représente et c’est la parole qui décrit ? — Essayez seulement de supprimer la musique ; ne conservez que le texte, les châssis et les toiles peintes, et, de l’histoire et du paysage, vous verrez ce qui restera.

Laissons du moins cet honneur à la musique, et justement à celle que nous étudions aujourd’hui. S’il est vrai que la musique du grand opéra français ne « creuse » pas toujours ses personnages, il n’est pas moins certain qu’elle les enveloppe et les encadre, qu’elle leur donne le recul ou le lointain du temps et de l’espace. Et c’est quelque chose encore d’arriver à cette généralité relative, quand on ne peut atteindre à l’universel et à l’infini.