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beaucoup de courage, en France, quand on n’a que du courage à donner.

Au lieu de s’occuper de réglementer le travail, de l’organiser, l’Etat devrait bien, à l’imitation de l’Angleterre, favoriser la vente, chercher, ouvrir, des débouchés à la production nationale. Voilà la seule manière de protéger l’ouvrier et le commerce. Et c’est ce qu’a toujours fait admirablement l’Angleterre.

Qu’est-il arrivé, depuis qu’au lendemain de la plus terrible des commotions politiques, vous substituez la discussion à l’action ? Le capital, qui vous écoute, se disperse !

Oh ! sachez-le bien, le capital est un oiseau hors des atteintes du plomb de tous les décrets possibles, de toutes les mesures révolutionnaires. Aucun pouvoir, si agissant que vous l’imaginiez, n’a pu le saisir. Compulsez l’histoire. Au moyen âge, les plus cruels supplices ont-ils arraché deux deniers de leurs trésors aux Juifs ? Louis XIV, en 1707, a-t-il pu se faire donner de l’argent ? Quand, en se prostituant à Samuel Bernard, et imposant la vanité de ce Juif, nommé comte de Combert, il en a tiré dix millions, Samuel Bernard a fait faillite, car ses créanciers ont refusé les bons de caisse de Desmarets[1]. La Régence, avec la confiscation partagée entre le délateur et l’Etat (énormité digne de Tibère), a-t-elle atteint les espèces d’or et d’argent ? Enfin, la Convention a-t-elle pu arrêter la dépréciation de ses assignats, appuyés par la peine de mort, et hypothéqués sur les biens nationaux ? Non ; à tous ces fameux exemples irrécusables, non ! Et l’on commence à violenter l’argent ! Eh bien, vous reculez d’autant, à chaque fausse mesure, le moment où le capital reviendra commanditer l’industrie française, et conséquemment le travail. Le capital pense tout ce que nous écrivons, mais sans le dire, car le capital est muet, comme il est sourd à toutes les violences. Saisi par une faillite, plus vaste que celle produite par Law, le capital vous écoute, il vous laisse entasser des décrets sans force ni prise sur lui, il contemple les ruines que vous accumulez, et il voit tarir les sources de la production par des discussions fatales, stériles en bien, fertiles en maux, et il s’en va, ce capital, il se cache, il fuit à toutes ailes, comme en 1720, comme en 1793 !

L’Angleterre, elle, recueille les capitaux fugitifs. Elle voit

  1. Balzac avait d’abord écrit : les Bons du Trésor d’alors.