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« une multitude de Lettres Turques, Arabes, Iroquoises, sauvages, etc. » Car on a vite fait, dit-il, « d’établir une liste assez restreinte de ce genre de productions, et Montesquieu était bien plus proche de la vérité quand il parlait des quelques ouvrages charmans qui avaient paru depuis les Lettres Persanes. » Je ne sais, après cela, si Montesquieu comptait lui-même au nombre de ces ouvrages charmans, — c’était en 1754, — les Lettres Chinoises du marquis d’Argens. En tout cas, c’est presque le seul de ces livres dont l’histoire littéraire ait sauvé le titre au moins de l’oubli, et le titre est digne en effet d’être retenu, comme signalant l’annexion définitive du domaine chinois au domaine de l’orientalisme.

Ce n’était pas que l’on n’eût entendu parler de la Chine ! mais, cependant, il est permis de dire, avec un peu d’exagération, et beaucoup de vérité, que la Chine a vraiment été, au XVIIe et au XVIIIe siècle, une découverte, et presque une invention des Jésuites. Pour répandre en Europe, et pour propager jusque parmi les philosophes, l’admiration de la Chine, des institutions sociales de la Chine, du gouvernement de la Chine, de la morale de la Chine, et je ne veux pas certes dire de la religion de la Chine, mais pourtant et au moins de la manière dont on entend et dont on pratique la religion en Chine, les Jésuites n’ont rien épargné, — pas même leur sang ! Et ils n’ont que trop bien réussi ! Et ce n’est pas le seul cas où la politique et les habiletés de la célèbre compagnie se soient retournées contre elle, mais c’en est l’un des plus significatifs. « L’Empire de la Chine, écrivait Grimm en 1766, est devenu de notre temps un objet particulier d’attention, d’études, de recherches et de raisonnemens. Les missionnaires ont d’abord intéressé la curiosité publique par des relations merveilleuses d’un pays très éloigné qui ne pouvait ni confirmer leur véracité, ni réclamer contre leurs mensonges. Les philosophes se sont ensuite emparés de la matière… » Il oubliait de faire, entre ces missionnaires, une part distincte et particulière à ceux d’entre eux qui s’étaient moins souciés d’insérer des « relations merveilleuses » dans la collection des Lettres Édifiantes, que d’étudier, d’analyser et de célébrer la philosophie de Confucius. M. Pierre Martino, lui, dans son livre, ne commet-il pas un oubli du même genre, quand il omet de mentionner les « Économistes » à côté des « Encyclopédistes, » et notamment Quesnay, dont le principal ouvrage est un Essai sur le despotisme de la Chine, à côté de Voltaire et de son Essai sur les mœurs ? L’action des Économistes, en général, a été profonde sur les transformations de l’esprit public dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, et quoique ni Quesnay, ni